Archimède et la quadrature de la parabole

Voici la traduction, par Charles Mugler, de la préface d'un texte d'Archimède (287-212 av. JC), à propos de l'aire d'un arc de parabole.
Archimède, à Dosithée, prospérité ! Quand j'ai appris que Conon, dont l'amitié ne m'avait jamais fait défaut, était mort, que tu avais été lié avec Conon et que tu es expert en géométrie, je fus affligé de la mort d'un homme qui était à la fois un ami et un esprit remarquable en mathématiques, et je pensai à t'envoyer par écrit, comme j'avais eu l'intention de le faire à Conon, un théorème de géométrie, qui n'avait pas été étudié auparant, mais que j'ai étudié maintenant, en le démontrant par la géométrie après l'avoir découvert par la mécanique. Certains des géomètres anciens se sont efforcés de montrer par écrit qu'il est possible de trouver une aire rectiligne équivalente à l'aire d'un cercle donné, ou à celle d'un segment de cercle donné, après quoi ils ont essayé de carrer l'aire comprise entre une section de cône et une droite, en assumant des lemmes inadmissibles, et c'est là la raison pour laquelle la plupart ont jugé que ces propositions n'ont pas été inventées par eux. En ce qui concerne le segment compris entre une droite et une parabole, nous savons qu'aucun des géomètres anciens n'en a cherché la quadrature, que nous avons trouvée maintenant : nous démontrons, en effet, que tout segment compris entre une droite et une parabole est équivalent aux quatre tiers du triangle ayant même base et même hauteur que le segment, en admettant pour la démonstration le lemme que voici : l'excès de la plus grande de deux aires inégales sur la plus petite peut dépasser, s'il est ajouté un nombre suffisant de fois à lui même, toute aire finie donnée. Or les géomètres antérieurs ont fait appel eux aussi à ce lemme ; car c'est en se servant de ce lemme qu'ils ont démontré que les cercles et les sphères ont entre eux le rapport des carrés sur leurs diamètres et que les sphères ont entre elles le rapport des cubes sur leurs diamètres, et ils ont démontré que toute pyramide est équivalente au tiers du prisme ayant même base et même hauteur que la pyramide, et que tout cône est équivalent au tiers du cylindre ayant même base et même hauteur que le cône, en prenant un lemme semblable à celui que nous venons d'indiquer. Il se trouve cependant que tous ces théorèmes cités sont considérés comme non moins vrais que ceux qui ont été démontrés sans ce lemme : il me suffit d'avoir amené au même degré de certitude ceux que je publie maintenant. Je t'envoie donc les démonstrations que j'ai rédigées pour le théorème, en montrant d'abord comment je l'ai examiné par la mécanique, ensuite aussi comment je l'ai prouvé par la géométrie. Je ferai précéder, de plus, mes démonstrations de propositions élémentaires sur les coniques utiles pour la démonstration. Sois en bonne santé.
Voici en termes modernes le résultat démontré par Archimède (figure 8).
Figure 8: Théorème d'Archimède : la surface d'un arc de parabole est égale aux quatre tiers de celle du triangle inscrit.
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Proposition 10   Considérons la courbe d'équation $ y=x^2$. Soient $ A$ et $ B$ deux points de cette courbe. Soit $ C$ le point tel que la tangente en ce point soit parallèle à la droite passant par $ A$ et $ B$. Alors la surface délimitée par la courbe et le segment $ [A,B]$ est égale à la surface du triangle $ ABC$, multipliée par $ 4/3$.

Avec la possibilité de calculer l'aire contenue sous une courbe comme une intégrale, le problème est relativement facile. Nous laissons au lecteur les calculs qui montrent que si $ x_A$ est l'abscisse du point $ A$ et $ x_B$ l'abscisse du point $ B$, alors le point $ C$ a pour abscisse $ (x_A+x_B)/2$, la surface de l'arc de parabole est $ (x_B-x_A)^3/6$ et celle du triangle $ ABC$ est $ (x_B-x_A)^3/8$.

Mais Archimède ne connaissait pas les intégrales, pas même les fonctions. Remarquez qu'il n'exprime pas l'aire de l'arc de parabole comme un nombre, fonction de $ x_A$ et $ x_B$, comme nous le faisons : son résultat énonce un rapport de surfaces. C'est aussi ainsi qu'il rappelle dans son introduction les résultats d'aires et de volumes connus avant lui.

Les arguments de mécanique auxquels Archimède fait référence sont des calculs de longueurs de leviers qu'il imagine pour équilibrer deux surfaces différentes («donnez-moi un point d'appui et je soulèverai le monde»). Son découpage de la surface à calculer en surfaces approchées de plus en plus petites est assez remarquable. Il faudra attendre une dizaine de siècles avant qu'on fasse mieux.

Archimède a passé l'essentiel de sa vie à Syracuse, en Sicile. Aussi, quand au cours de la seconde guerre punique les Romains assiégèrent sa ville, il participa activement à la défense en inventant des machines de guerre capables de couler les navires adverses, semant ainsi la terreur parmi les assiégeants. Cependant en 212 av JC, après plusieurs années de siège, les Romains réussirent à prendre Syracuse. Archimède mourut lors du pillage de la ville. Ce qui se passa exactement n'est pas certain. L'une des versions données par Plutarque, dit qu'un soldat Romain se présenta devant Archimède alors que celui-ci traçait des figures géométriques sur le sol, inconscient de la prise de la ville par l'ennemi. Troublé dans sa concentration par le soldat, Archimède lui aurait lancé «Ne dérange pas mes cercles !». Le soldat vexé l'aurait alors tué d'un coup d'épée. On fit graver sur sa tombe une sphère inscrite dans un cylindre, avec le rapport de $ 2/3$ entre les deux volumes, ce qu'Archimède considérait comme sa plus grande découverte.


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