Puissances et ordre d'un élément d'un groupe

Rappelons une définition déjà utilisée en partie.

Définition 21   Soit $ a$ un élément d'un groupe et $ n$ un entier relatif. On appelle puissance $ n$-ième de $ a$ l'élément $ a^n$ défini comme valant $ \underbrace{aa\ldots a}_{n{ \rm fois}}$ si $ n\geqslant 1$, comme valant l'inverse de $ a^{-n}$ si $ n\leqslant{-1}$ et comme valant l'élément neutre si $ n=0$.

Définition équivalente (évitant l'emploi des trois petits points) On définit par récurrence $ a^{n}$ pour tout entier $ n$ positif ou nul en posant $ a^{0}=e$ puis, pour tout $ n\geqslant 0$, $ a^{n+1}=a^{n}a$, puis on définit directement $ a^{n}$ pour tout entier $ n$ négatif en posant $ a^{n}=(a^{-n})^{-1}$ (puisque $ a^{-n}$ est alors déjà défini).


Notation 10   L'ensemble des puissances de $ a$ est noté $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle $.

Proposition 12   Soit $ a$ un élément d'un groupe et $ n$ et $ m$ deux entiers ; alors $ a^{m+n}=a^ma^n$ et $ (a^m)^n=a^{mn}$.

Démonstration : C'est très simple à voir avec des points de suspension, en n'oubliant pas de distinguer plein de cas selon les signes des divers entiers des formules, la définition dépendant de ce signe. Comme c'est à la fois très facile et très fastidieux, on va oublier discrètement de le faire.$ \square$

On en déduit aussitôt la très élémentaire

Proposition 13   Soit $ G$ un groupe, et $ a$ un élément de $ G$. L'ensemble $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle $ est un sous-groupe de $ G$.

Démonstration : L'ensemble $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle $ n'est pas vide, puisqu'il contient $ a$. Si $ x$ et $ y$ sont deux éléments de $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle $, on peut trouver deux entiers (relatifs) $ m$ et $ n$ permettant d'écrire $ x=a^m$ et $ y=a^n$. Dès lors $ xy^{-1}=a^{m-n}$ et donc $ xy^{-1}$ appartient à $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle $.$ \square$

Définition 22   Soit $ a$ un élément d'un groupe, dont le neutre est noté $ e$. Si pour tout $ n\geqslant 1$, $ a^n\not= e$ on dit que $ a$ est d'ordre infini. Sinon on appelle ordre de $ a$ le plus petit entier $ n\geqslant 1$ tel que $ a^n=e$.

Afin de tenter de prévenir les confusions, introduisons un autre sens du mot «ordre», pas du tout synonyme du précédent et un peu superflu mais tellement passé dans les usages qu'on ne peut l'éviter.

Définition 23   Soit $ G$ un groupe fini. L'ordre de $ G$ est son cardinal.

Histoire d'appliquer rétroactivement la division euclidienne, qui sera correctement définie dans le chapitre sur l'arithmétique, démontrons le

Théorème 3   Soit $ a$ un élément d'un groupe. L'ordre de $ a$ est égal au nombre d'éléments de $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle $.

Démonstration : La preuve étant plus longue que la moyenne, essayons de dégager des étapes intermédiaires avec des énoncés précis, qui nous permettront de souffler quand ils seront atteints. On notera $ e$ l'élément neutre du groupe considéré.


Étape intermédiaire 1 : si l'ordre de $ a$ est fini, noté $ n$,

$\displaystyle \mathopen\langle a\mathclose\rangle =A, $   où on a posé$\displaystyle \
A=\{ e,a,a^2,\ldots,a^{n-1}\}.
$


Preuve de l'étape 1. Soit $ b$ un élément de $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle $, c'est-à-dire une puissance de $ a$. On peut donc mettre $ b$ sous forme $ a^k$ pour un entier relatif $ k$. Effectuons la division euclidienne de $ k$ par $ n$, ainsi $ k=nq+r$, avec $ 0\leqslant r\leqslant n-1$. On a alors

$\displaystyle b=a^k=a^{nq+r}=(a^n)^qa^r=e^qa^r=a^r,
$

donc $ b$ appartient à $ A$, ce qui montre l'inclusion $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle \subset A$ ; l'autre inclusion étant évidente, l'étape 1 est prouvée.


Étape intermédiaire 2 : si l'ordre de $ a$ est fini, le théorème est vrai.


Preuve de l'étape 2. Notons $ n$ l'ordre de $ a$. Il découle du résultat de l'étape 1 que dans cette hypothèse l'ensemble $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle $ possède au plus $ n$ éléments. L'étudiant distrait croira même qu'on a déjà prouvé qu'il en possède exactement $ n$ et qu'on a donc fini, mais son condisciple plus observateur remarquera que nous ne savons pas encore si dans l'énumération $ e,a,a^2,\ldots,a^{n-1}$ figurent bien $ n$ éléments distincts.

Prouvons donc ce dernier fait ; supposons que dans cette énumération il y ait deux termes $ a^i$ et $ a^j$ qui représentent le même élément du groupe, avec pourtant $ i<j$. On aurait alors $ a^{j-i}=e$. Mais par ailleurs, comme $ i<j$, on obtient $ 0<j-i$ et donc $ 1\leqslant i-j$, et comme $ 0\leqslant i$ et $ j<n$, on obtient $ j-i<n$. Mais ceci contredit la définition de $ n$ comme le plus petit entier supérieur ou égal à $ 1$ tel que $ a^n=e$. L'hypothèse était donc absurde, et l'énumération décrivant $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle $ à l'étape 1 est une énumération sans répétition.

Le nombre d'éléments de $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle $ est donc bien égal à $ n$, et l'étape 1 est prouvée.


Étape intermédiaire 3 : si l'ordre de $ a$ est infini, le théorème est vrai.


Preuve de l'étape 3. Dans ce cas, tout le travail consiste à prouver que $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle $ est un ensemble infini. La vérification est du même esprit qu'à l'étape 2, en plus simple : on va prouver que pour $ i<j$, les éléments $ a^i$ et $ a^j$ de $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle $ sont distincts. Pour ce faire, supposons que deux d'entre eux soient égaux ; on aurait alors $ a^{j-i}=e$, avec pourtant $ 1\leqslant j-i$ et $ a$ ne serait pas d'ordre infini. Ainsi l'étape 3 est prouvée.$ \square$

Corollaire 1   L'ordre d'un élément divise l'ordre du groupe.

Démonstration : Laissée au lecteur, en lui rappelant l'existence dans ce cours d'un théorème dit «de Lagrange» et en lui conseillant tout de même de bien distinguer entre ordre (cardinal) et ordre (d'un élément), comme déjà mentionné.$ \square$

Histoire d'utiliser encore un peu la notion d'ordre, donnons un énoncé qui peut servir pour gagner du temps dans tel ou tel exercice très concret.

Proposition 14   Soit $ G$ un groupe fini et $ H$ un sous-ensemble de $ G$. Alors $ H$ est un sous-groupe de $ G$ si et seulement si :

1. L'ensemble $ H$ n'est pas vide.

2. Pour tous $ a,b$ de $ H$, le produit $ ab$ est aussi dans $ H$.

En d'autres termes, dans le cas particulier d'un sous-ensemble d'un groupe fini (et seulement dans ce cas !) on peut faire des économies et éviter de travailler sur les ennuyeux symétriques pour examiner un potentiel sous-groupe.

Pour enfoncer le clou sur la nécessité de l'hypothèse selon laquelle $ G$ est fini, on pensera au cas $ G=\mathbb{Z}$ et $ H=\mathbb{N}$.

Démonstration : La seule difficulté est évidemment de vérifier la propriété (iii) de la définition des «sous-groupes». Prenons donc un élément $ a$ de $ H$. On commence par traiter à part le cas stupide où $ a=e$, et où il est clair qu'on a aussi $ a^{-1}=e\in H$. Pour le cas sérieux où $ a\not=e$, considérons le sous-groupe $ \mathopen\langle a\mathclose\rangle $ de $ G$. Ce sous-groupe est fini, puisqu'inclus dans $ G$. On déduit donc du théorème précédent (en fait de sa partie la plus facile, l'étape 3 de sa preuve) que $ a$ est d'ordre fini. Notons $ n$ l'ordre de $ a$ ; comme $ a\not=e$, on a l'inégalité $ n\geqslant 2$ et donc $ n-1\geqslant 1$ ; écrivons l'identité $ a^{n-1}=a^na^{-1}=a^{-1}$, et revenons dans cette formule à la définition de $ a^{n-1}$ : on obtient $ a^{-1}=\underbrace{
aa\ldots aa}_{n-1{ \rm fois}}$ comme produit d'un nombre positif d'exemplaires de $ a$ ; par la propriété 2 de l'énoncé de la proposition, on en déduit que $ a^{-1}\in H$.$ \square$


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