Relations

Vous avez déjà rencontré cette notion dans votre cursus ; rappelons qu'intuitivement, une relation sur un ensemble $ E$ est la description de liens entre certains éléments de $ E$. Donnons des exemples avant même la définition.

Exemple 1   1) La relation «est inférieur ou égal à» sur l'ensemble $ \mathbb{R}$ des réels : pour deux réels $ x$ et $ y$, on peut avoir $ x\leqslant y$ ou non.
2) La relation «est inclus dans» sur l'ensemble des parties d'un ensemble : pour deux parties $ A$ et $ B$, on peut avoir $ A\subset B$ ou $ B\subset A$ ou aucun des deux.
3) La relation «a le même cardinal que» sur l'ensemble des parties d'un ensemble fini.
4) Plus exotique : la relation «coïncide en au moins un point avec» pour des fonctions définies sur un même ensemble.

Définition 1   Le graphe d'une relation $ \mathcal R$ sur un ensemble $ E$ est l'ensemble des couples $ (a,b)$ de $ E\times E$ tels que $ a \mathcal R b$.


Sermon

Attention à bien lire cette définition, qui, comme toutes ses cons\oeurs de la suite de ce cours, peut être mal retenue par de jeunes âmes peu scrupuleuses mathématiquement parlant. Il est facile de retenir que le graphe de $ \mathcal R$ a un rapport avec $ a\mathcal{R}
b$. Mais soulignons que le graphe est un ensemble.

Profitons en pour signaler dès l'abord que les divers objets qui sont définis dans ce cours entrent dans un petit nombre de catégories : souvent des ensembles, assez souvent des applications, souvent des $ n$-uplets (qui ne sont rien d'autres que des applications particulières, sauriez-vous préciser pourquoi ?), souvent aussi des nombres (entiers, réels ou autres), plus rarement des relations, etc. Il n'est pas difficile de savoir dans quelle catégorie ranger les graphes : ce ne sont manifestement pas des triplets, ni des nombres complexes ! Le plus important est de ne pas oublier de les ranger quelque part. Savoir à quelle catégorie appartient un objet permet d'éviter les bourdes les plus monumentales : ainsi, le symbole $ \cap$ aura un sens entre deux ensembles, pas entre deux réels, et réciproquement pour le symbole $ +$. On profitera du fait que la première phrase de cette section contient les mots «élément» et «ensemble» pour vérifier qu'on ne confond pas les deux.

C'était la fin de notre sermon d'aujourd'hui.


Voici maintenant quatre définitions rébarbatives, mais incontournables.

Définition 2   Soit $ E$ un ensemble et $ \mathcal{R}$ une relation sur $ E$.

1) La relation $ \mathcal{R}$ est réflexive lorsque pour tout élément $ a$ de $ E$, $ a\mathcal{R} a$.

2) La relation $ \mathcal{R}$ est symétrique lorsque pour tous éléments $ a$ et $ b$ de $ E$, si $ a\mathcal{R}
b$, alors $ b\mathcal{R} a$.

3) La relation $ \mathcal{R}$ est transitive lorsque pour tous éléments $ a$, $ b$ et $ c$ de $ E$, si $ a\mathcal{R}
b$ et si $ b\mathcal{R} c$, alors $ a\mathcal{R} c$.

4) La relation $ \mathcal{R}$ est anti-symétrique lorsque pour tous éléments $ a$ et $ b$ de $ E$, si $ a\mathcal{R}
b$ et si $ b\mathcal{R} a$, alors $ a=b$.

Quelques commentaires sur la dernière condition, qui est sans doute la plus difficile à bien mémoriser des quatre : c'est, comme son nom l'indique, en gros le contraire de la propriété de symétrie. La symétrie exige que quand deux éléments sont liés dans un sens, ils le sont aussi dans l'autre. L'anti-symétrie, c'est approximativement demander que si deux éléments sont liés dans un sens, ils ne le sont pas dans l'autre. Mais cette condition empêcherait un élément d'être lié à lui-même, ce qui ne serait pas désespérant en soi mais ne serait pas conforme à l'usage. De fait, l'usage s'est fait de compliquer la définition afin de garder la permission pour un élément d'être lié à lui-même.

On comprendra peut-être un peu mieux la définition en écrivant la contraposée de l'implication qu'elle contient.


Autre formulation de la définition de l'anti-symétrie Une relation $ \mathcal{R}$ sur un ensemble $ E$ est anti-symétrique lorsque pour tous éléments $ a$ et $ b$ distincts de $ E$, on ne peut avoir simultanément $ a\mathcal{R}
b$ et $ b\mathcal{R} a$.


Comme nous sommes encore débutants, faisons l'effort d'expliciter une autre façon de présenter la même notion.


Autre formulation de la définition de l'anti-symétrie Une relation $ \mathcal{R}$ sur un ensemble $ E$ est anti-symétrique lorsque pour tous éléments $ a$ et $ b$ distincts de $ E$, $ a\mathcal{R}
b$ est faux ou $ b\mathcal{R} a$ est faux.


Bien évidemment, ce genre de liste de formulations équivalentes n'est surtout pas à «savoir par c\oeur». Ce qui est par contre indispensable, c'est de se familariser avec les petites manipulations qui permettent de passer de l'une à l'autre, selon les besoins.

En pratique, les relations qui pourront nous intéresser dans ce cours ne seront jamais bien compliquées ; le vocabulaire que nous avons dû ingurgiter depuis le début de ce chapitre n'a d'utilité que pour savoir reconnaître deux types très particuliers de relations : les relations d'ordre, auxquelles cette section est consacrée, puis, dans la section prochaine, les relations d'équivalence.

Définition 3   Une relation est une relation d'ordre lorsqu'elle est simultanément réflexive, transitive et anti-symétrique.

Considérons par exemple la relation «divise» sur l'ensemble $ E=\{1,2,3,4,5,6\}$. C'est une relation d'ordre ; son graphe est visualisé par des flèches sur la figure 1.

Figure: Représentation graphique de la relation «divise» sur $ \{1,2,3,4,5,6\}$.
\includegraphics[width=7cm]{divise}

Intuitivement, une relation d'ordre est une relation qui peut raisonnablement être appelée «est supérieur ou égal à» ou, bien sûr, «est inférieur ou égal à».

Exemple 2   La relation «$ \leqslant$» sur $ E=\mathbb{R}$ est une relation d'ordre. Pour tout ensemble $ A$ fixé, la relation «$ \subset$» sur $ E={\mathcal P}(A)$ est une relation d'ordre. La seconde est sans doute plus compliquée à maîtriser que la première dans la mesure où deux parties de $ A$ ne sont pas forcément comparables l'une à l'autre.

Le morceau est plus sérieux pour les relations d'équivalence que pour les relations d'ordre, car on ne va pas se contenter de donner une définition, mais on va aussi voir le lien avec un autre concept. Pour expliquer intuitivement ce qui va suivre, une relation d'équivalence est une relation qui peut raisonnablement s'appeler «est de la même catégorie que» et une partition est une répartition en catégories.

Définition 4   Une relation est une relation d'équivalence lorsqu'elle est simultanément réflexive, symétrique et transitive.

Exemple 3   L'égalité sur n'importe quel ensemble $ E$ fixé. La relation «a même parité que» sur l'ensemble $ \mathbb{N}$ des entiers naturels. La relation «est confondue avec ou parallèle à» sur l'ensemble des droites d'un plan affine.

Avalons encore trois définitions de plus en plus indigestes mais ce n'est pas gratuit, les concepts serviront plus loin, notamment en arithmétique.

Définition 5   Soit $ \mathcal{R}$ une relation d'équivalence sur un ensemble $ E$, et soit $ a$ un élément de $ E$. On appelle classe d'équivalence de $ a$ modulo $ \mathcal{R}$ l'ensemble

$\displaystyle \{x\in E \mid a\mathcal{R}x\}.$

Avec des mots, la classe d'équivalence de $ a$ est l'ensemble formé des éléments de la même catégorie que $ a$.

Notation 1   On note $ \mathfrak{cl}_{\mathcal{R}}(a)$ la classe d'équivalence d'un élément $ a$ de $ E$ pour la relation d'équivalence $ \mathcal{R}$.

On abrège souvent $ \mathfrak{cl}_{\mathcal{R}}(a)$ en $ \mathfrak{cl}(a)$. Une autre notation pour la classe d'équivalence de $ a$ est $ \dot a$ mais nous l'utiliserons rarement dans ce cours. Par contre, nous désignerons souvent les relations d'équivalence par le signe $ \sim$.

Sans commentaires, car il y en aura plus loin, un objet plus étrange :

Définition 6   Soit $ \sim$ une relation d'équivalence sur un ensemble $ E$. On appelle
ensemble-quotient de $ E$ par la relation $ \sim$ l'ensemble :

$\displaystyle \{ \mathfrak{cl}(a) \mid a\in E \}.$

Attention tout de même ! Comme $ \mathfrak{cl}(a)$ est une partie (et non un élément) de $ E$, l'ensemble-quotient est un ensemble de parties de $ E$. Ce n'est pas une partie de $ E$ mais une partie de $ {\mathcal P}(E)$. Ce n'est pas si compliqué, mais il ne faut pas s'y perdre.

Notation 2   L'ensemble-quotient de $ E$ par $ \sim$ est noté $ E/\!\sim$.

On remarquera qu'en général, chaque élément $ c$ de l'ensemble quotient $ E/\!\sim$ peut s'écrire comme $ c=\mathfrak{cl}(a)$ pour de nombreux éléments $ a$ différents de $ E$ : très précisément, $ c$ s'écrit $ c=\mathfrak{cl}(a)$ pour un élément $ a$ de $ E$ tel que $ a\in c$, et aussi $ c=\mathfrak{cl}(b)$ pour tous les éléments $ b$ de $ E$ tels que $ a\sim b$.

Définition 7   Une partition d'un ensemble $ E$ est un ensemble $ \mathcal Q$ de parties de $ E$ vérifiant les trois propriétés suivantes :

(i) L'ensemble vide n'est pas un élément de $ \mathcal Q$.

(ii) Deux éléments distincts de $ \mathcal Q$ sont disjoints.

(iii) Tout élément de $ E$ appartient à un élément de $ \mathcal Q$.

C'est dur à avaler parce qu'on rentre inévitablement dans le monde des ensembles dont les éléments sont eux-mêmes des ensembles. Les éléments de $ \mathcal Q$ sont des parties de $ E$ et doivent donc être pensés comme des groupes d'éléments de $ E$ vérifiant une condition commune. Et $ \mathcal Q\subset\mathcal P(E)$ : une partition de $ E$ est une partie de l'ensemble des parties de $ E$ (ouf !).

Exemple 4   En notant $ I\subset\mathbb{N}$ l'ensemble des entiers impairs et $ P\subset\mathbb{N}$ l'ensemble des entiers pairs, $ \{I,P\}$ est une partition de $ \mathbb{N}$.

Tentons maintenant de commenter les conditions de la définition 7. La condition (i) est sans grand intérêt et juste là pour que les énoncés marchent bien. La condition (ii) nous assure qu'on n'a inscrit aucun élément de $ E$ dans deux catégories à la fois. La condition (iii) signifie qu'on n'a oublié d'inscrire personne : tout élément de $ E$ est dans un groupe.

On remarquera qu'on peut regrouper les deux conditions significatives, ce qui donne l'énoncé suivant.


Autre formulation de la définition d'une partition Une partition d'un ensemble $ E$ est un ensemble $ \mathcal Q$ de parties de $ E$ vérifiant les deux propriétés (i) et (iv) ci-dessous :

(i) L'ensemble vide n'est pas un élément de $ \cal Q$.

(iv) Tout élément de $ E$ appartient à un et un seul élément de $ \cal Q$.


Bien évidemment là encore il n'est pas question d'apprendre par c\oeur ce genre de reformulation. Il faut se convaincre, et ici ce n'est peut-être pas facile, qu'elle est bien équivalente à la précédente.

Et voici maintenant la synthèse finale, qui expliquera ce qu'est un ensemble-quotient à ceux qui ont compris ce qu'est une partition, et expliquera ce qu'est une partition à ceux qui ont compris ce qu'est un ensemble-quotient (figure 2).

Figure 2: Représentation graphique d'une relation d'équivalence. Partition en classes d'équivalence.
\includegraphics[width=8cm, height=5cm]{relequiv}

Proposition 1   Soit $ \sim$ une relation d'équivalence sur un ensemble $ E$. L'ensemble-quotient $ E/\!\sim$ est une partition de $ E$.


Complément Toute partition de $ A$ peut s'obtenir ainsi comme quotient par une relation d'équivalence de $ E$ et cette relation d'équivalence est unique.


La preuve du complément est laissée au lecteur.

Démonstration : Vérifions successivement les trois propriétés définissant une partition.


Vérification de (i) : Soit $ A$ un élément de $ E/\!\sim$. Par définition de $ E/\!\sim$, il existe un élément $ a$ de $ E$ tel que $ A=\mathfrak{cl}(a)$. Comme $ \sim$ est réflexive, $ a\sim a$, donc $ a$ appartient à $ \mathfrak{cl}(a) =A$. Ainsi $ A$ n'est pas réduit à l'ensemble vide.


Vérification de (ii) : Soient $ A$ et $ B$ deux éléments de $ E/\!\sim$. On peut trouver des éléments $ a$ et $ b$ de $ E$ tels que $ A=\mathfrak{cl}(a)$ et $ B=\mathfrak{cl}(b)$. On doit montrer que si $ A$ et $ B$ sont distincts, ils sont alors disjoints, et on va procéder par contraposition, c'est-à-dire en montrant que si $ A$ et $ B$ ne sont pas disjoints, ils sont égaux.

Supposons donc $ A$ et $ B$ non disjoints. L'objectif est de prouver que $ A=B$, on va montrer successivement les inclusions $ A\subset B$ et $ B\subset A$.

Par l'hypothèse qu'on vient de faire, on peut prendre un élément $ c$ de $ E$ qui appartient simultanément à $ A$ et à $ B$.


Première inclusion : Montrons tout d'abord que $ A\subset B$. Pour ce faire, prenons un $ x\in A$ quelconque et prouvons que $ x\in B$.

Comme $ x\in A=\mathfrak{cl}(a)$, par définition d'une classe d'équivalence, on obtient $ a\sim x$. Comme $ c\in A=\mathfrak{cl}(a)$, on obtient de même $ a\sim c$, puis, grâce à la symétrie de $ \sim$, on obtient $ c\sim a$. Comme $ c\in B=\mathfrak{cl}(b)$, on obtient enfin $ b\sim c$. En mettant bout à bout les trois informations ainsi obtenues ($ b\sim c$, $ c\sim a$ et $ a\sim x$) et en jouant deux fois sur la transitivité de $ \sim$, on obtient alors que $ b\sim x$, c'est-à-dire que $ x\in B$.

Ceci prouve bien que $ A\subset B$.


Deuxième inclusion : L'astuce est ici classique, elle consiste à remarquer que nos hypothèses (à savoir que $ A$ et $ B$ sont des classes d'équivalence, et qu'elles ne sont pas disjointes) sont symétriques en $ A$ et $ B$. Dès lors, en échangeant $ A$ et $ B$ dans le morceau précédent de la preuve, on obtient bien l'inclusion $ B\subset A$.

Par double inclusion, on a donc $ A=B$.

Finalement, on a montré que si $ A\cap B\not=\emptyset$, alors $ A=B$. La propriété (ii) est prouvée. Ouf, c'était le plus gros morceau !


Vérification de (iii) : Soit $ a$ un élément de $ E$. Comme $ \sim$ est réflexive, $ a$ appartient à $ \mathfrak{cl}(a)$, et de ce fait on a bien trouvé un élément de $ E/\!\sim$ dont $ a$ est lui-même élément. C'est fini !$ \square$


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