Arithmétique des polynômes

Il s'agit de répéter pour les polynômes des résultats similaires à ceux qui ont été énoncés pour les entiers.

Premier point à observer : l'arithmétique sur les polynômes est tout à fait analogue à celle sur les entiers à condition de travailler sur des polynômes sur un corps commutatif. Sur un anneau commutatif quelconque (même intègre) se glissent quelques bizarreries.

Second point à observer : les énoncés donnés sur les entiers l'ont été sur des entiers positifs. Ils se modifient sans trop de mal pour des entiers de $ \mathbb{Z}$ mais parfois en s'alourdissant un peu ; ainsi dans $ \mathbb{Z}$ on ne peut plus affirmer l'existence d'un entier $ d$ unique tel que $ n$ divise $ 10$ et $ 6$ si et seulement si $ n$ divise $ d$ (le pgcd de $ 10$ et $ 6$) : il en existe toujours un, mais il n'est plus unique, on peut prendre $ d=2$ mais aussi $ d=-2$. Les polynômes unitaires joueront un rôle analogue aux entiers positifs mais ils sont légèrement moins confortables, dans la mesure où la somme de deux entiers positifs est positive alors que la somme de deux polynômes unitaires n'est pas nécessairement unitaire. Attention à ces petits détails donc, en apprenant les énoncés.

Commençons par donner une définition, à partir de laquelle on ne montrera guère de théorèmes que dans $ \mathbb{K}[X]$ mais que ça ne coûte pas plus cher de donner sur un anneau commutatif quelconque.

Définition 9   Soit $ A$ un anneau commutatif. On dit qu'un polynôme $ P$ dans $ A[X]$ est un multiple d'un polynôme $ S$ dans $ A[X]$, ou, de manière équivalente, que $ S$ est un diviseur de $ P$, lorsqu'il existe un polynôme $ T$ dans $ A[X]$ tel que $ P=ST$.

Comme pour les entiers, tout repose sur la division euclidienne.

Théorème 1   Soit $ \mathbb{K}$ un corps commutatif, $ A$ un polynôme de $ \mathbb{K}[X]$ et $ B$ un polynôme non nul de $ \mathbb{K}[X]$. Il existe un couple $ (Q,R)$ unique de polynômes vérifiant la double condition :

$\displaystyle A=QB+R\qquad{\rm et}\qquad \deg R < \deg B.
$

Démonstration : On prouvera successivement l'existence et l'unicité de $ (Q,R)$.

Existence de $ (Q,R)$

La preuve est significativement différente de celle utilisée pour les entiers. Elle est toujours basée sur une maximisation/minimisation, mais les polynômes n'étant pas totalement ordonnés, cette maximisation est un peu plus technique.

Dans le cas stupide où $ B$ divise $ A$, prenons $ R=0$ et $ Q$ tel que $ A=BQ$. Sinon, considérons l'ensemble

$\displaystyle {\mathcal
R}=\{A-QB \mid Q\in\mathbb{K}[X]\},
$

qui est donc un ensemble non vide de polynômes non nuls ; puis l'ensemble

$\displaystyle E=\{\deg R \mid R\in{\cal R}\},
$

qui est un ensemble d'entiers positifs non vide. Cet ensemble $ E$ possède donc un plus petit élément $ d$ ; prenons un $ R$ dans $ \cal R$ dont le degré soit $ d$ et enfin un $ Q$ tel que $ A-QB=R$.

Nous devons vérifier que ces choix conviennent ; l'identité entre $ A$, $ B$, $ Q$ et $ R$ est claire, reste l'inégalité concernant les degrés. Vérifions-la par l'absurde, en supposant que $ \deg B\leqslant\deg R$ ; notons $ e$ le degré de $ B$ et

$\displaystyle B=b_eX^e+b_{e-1}X^{e-1}+\cdots+b_0,\quad
R=r_dX^d+r_{d-1}X^{d-1}+\cdots+r_0.
$

Posons

$\displaystyle Q_1=Q+\frac{r_d}{b_e}X^{d-e}.
$

Remarquons qu'en écrivant cette définition, on utilise l'hypothèse $ \deg B\leqslant\deg R$, qui justifie que $ X^{d-e}$ ait un sens, et simultanément le fait qu'on travaille dans un corps, qui justifie la possibilité de diviser par $ b_e$.

Considérons alors

$\displaystyle R_1=A-Q_1B=A-QB-\left(\frac{r_d}{b_e}X^{d-e}\right)B,
$

donc

$\displaystyle R_{1}=
R-\left(b_eX^e+b_{e-1}X^{e-1}+\cdots+b_0\right)
\left(\frac{r_d}{b_e}X^{d-e}\right).
$

Dans cette dernière écriture, on voit se simplifier les termes en $ X^d$ de $ R$ et du produit qu'on lui a soustrait, et on constate donc avoir obtenu un polynôme $ R_1$ de degré strictement plus petit que celui de $ R$. Mais alors le degré de $ R_1$ est dans $ E$ et contredit l'hypothèse de minimisation qui a fait choisir $ d$. Contradiction !

Unicité de $ (Q,R)$

Soient $ (Q_1,R_1)$ et $ (Q_2,R_2)$ deux couples vérifiant les deux conditions exigées dans l'énoncé du théorème.

On déduit de $ A=Q_1B+R_1=Q_2B+R_2$ que $ (Q_2-Q_1)B=R_1-R_2$. Ainsi, $ R_1-R_2$ est un multiple de $ B$. Des conditions $ \deg R_1<\deg B$ et $ \deg R_2<\deg B$, on déduit que $ \deg(R_1-R_2)<\deg B$.

Ainsi $ R_1-R_2$ est un multiple de $ B$ de degré strictement plus petit. La seule possibilité est que $ R_1-R_2$ soit nul. On en déduit $ R_1=R_2$, puis, en allant reprendre l'égalité $ (Q_2-Q_1)B=R_1-R_2$, que $ Q_1=Q_2$.$ \square$

Remarque : On a choisi d'énoncer ce théorème sur un corps commutatif pour faciliter sa mémorisation et parce que l'on n'aura presque jamais besoin d'un énoncé plus général. On aura toutefois besoin une fois de l'utiliser pour des polynômes sur un anneau ; remarquons donc que la démonstration montre que le résultat reste vrai sur un anneau commutatif quelconque à condition de supposer non seulement que $ B$ est non nul, mais même que son coefficient dominant est inversible : le seul endroit où on a utilisé qu'on s'était placé dans un corps commutatif a en effet été une division par ce coefficient dominant.

Exemple 2   Concrètement, on disposera les divisions euclidiennes de polynômes comme les divisions de nombres entiers. Par exemple, pour diviser $ P=X^2+X+1$ par $ Q=X-1$, on écrit :

\begin{displaymath}
\begin{array}{l\vert l}
\begin{array}{l}
X^2+X+1\\
X^2-X\ ...
...ray}{l}
X-1\\
\hline
X+2\\
\\
\\
\\
\end{array}\end{array}\end{displaymath}

Ce qui fournit la division euclidienne :

$\displaystyle P=(X+2)Q-1.
$

Nous définissons ensuite le pgcd. On ne donnera pas ici d'énoncés concernant le $ \mathrm{ppcm}$, non qu'il n'y en ait pas (ce sont là aussi les mêmes qu'en arithmétique des entiers) mais parce qu'ils ne semblent pas très importants. Les étudiants curieux les reconstitueront eux-mêmes.

Théorème 2   Soit $ \mathbb{K}$ un corps commutatif. Soient $ A$ et $ B$ deux polynômes de $ \mathbb{K}[X]$. Il existe un unique polynôme unitaire $ D$ de $ \mathbb{K}[X]$ tel que pour tout polynôme $ P$ de $ \mathbb{K}[X]$, $ P$ divise $ A$ et $ B$ si et seulement si $ P$ divise $ D$.

De plus il existe deux polynômes $ S$ et $ T$ de $ \mathbb{K}[X]$ tels que $ D=SA+TB$ (identité de Bézout).

Et tant qu'on y est avant de passer aux démonstrations :

Définition 10   Le plus grand commun diviseur de deux polynômes $ A$ et $ B$ est le polynôme unitaire $ D$ apparaissant dans l'énoncé du théorème précédent.

Notation 7   Le plus grand commun diviseur de $ A$ et $ B$ sera noté $ \mathrm{pgcd}(A,B)$.

Comme pour les entiers, plusieurs démonstrations sont possibles ; on ne donne que celle basée sur l'algorithme d'Euclide.

Démonstration : La démonstration est une récurrence sur le degré de $ B$.

Merveilles du copier-coller, voici de nouveau un «résumé de la preuve»  sous forme de programme informatique récursif (le même que pour l'arithmétique des entiers) :

Début du programme

* Pour $ B=0$, $ \mathrm{pgcd}(A,0)=A/{}$coefficient dominant de $ A$.

* Soit $ R$ le reste de la division euclidienne de $ A$ par $ B$.

Les diviseurs communs de $ A$ et $ B$ sont ceux de $ B$ et $ R$.

D'où : $ \mathrm{pgcd}(A,B)=\mathrm{pgcd}(B,R)$.

Fin du programme

Et voici, toujours par les vertus du copier-coller, la preuve récurrente formelle. On va démontrer par «récurrence forte»  sur le degré $ d$ de $ B$ l'hypothèse $ (H_d)$ suivante :

$ (H_{d})$ Pour tout polynôme $ A$ et tout polynôme $ B$ de degré $ d$, il existe deux polynômes $ S$ et $ T$ tels que, pour tout polynôme $ P$, $ P$ divise $ A$ et $ B$ si et seulement si $ P$ divise $ SA+TB$.

Vérifions $ (H_{-\infty})$.

Il s'agit donc de traiter le cas où $ B=0$. Soit $ A$ un polynôme ; tout polynôme $ P$ qui divise $ A$ divise aussi $ B=0$ puisque $ 0P=0$. Pour tout $ P$, $ P$ divise $ A$ et 0 si et seulement si $ P$ divise $ A$. Prenons alors $ S=1$ et $ T=0$ : on a donc bien pour tout $ P$ : $ P$ divise $ A$ et 0 si et seulement si $ P$ divise $ SA+T\times 0$.

Soit $ d$ un entier fixé. Supposons la propriété $ (H_c)$ vraie pour tout $ c$ strictement inférieur à $ d$ et montrons $ (H_d)$.

Soient $ A$ un polynôme et $ B$ un polynôme de degré $ d$. Notons $ A=BQ+R$ la division euclidienne de $ A$ par $ B$ (qu'on peut réaliser puisque $ B\not=0$).

Vérifions l'affirmation intermédiaire suivante : pour tout $ P$, $ P$ est un diviseur commun de $ A$ et $ B$ si et seulement si $ P$ est un diviseur commun de $ B$ et $ R$. (Avec des mots peut-être plus lisibles : «les diviseurs communs de $ A$ et $ B$ sont les mêmes que ceux de $ B$ et $ R$»).

Soit $ P$ un diviseur commun de $ A$ et $ B$, alors $ P$ divise aussi $ R=A-BQ$ ; réciproquement soit $ P$ un diviseur commun de $ B$ et $ R$, alors $ P$ divise aussi $ A=BQ+R$.

L'affirmation intermédiaire est donc démontrée.

On peut alors appliquer l'hypothèse de récurrence $ (H_{\deg R})$ (puisque précisément $ \deg R < \deg B$) en l'appliquant au polynôme $ B$.

On en déduit qu'il existe deux polynômes $ S_1$ et $ T_1$ tels que pour tout $ P$, $ P$ divise $ B$ et $ R$ si et seulement si $ P$ divise $ S_1 B+T_1 R$.

Remarquons enfin que $ S_1 B+T_1R=S_1 B+T_1(A-BQ)=T_A
A+(S_1-Q)B$, et qu'ainsi, si on pose $ S=T_A$ et $ T=S_1-Q$ on a bien prouvé que, pour tout $ P$, $ P$ divise $ Q$ et $ B$ si et seulement si $ P$ divise $ SA+TB$.

$ (H_d)$ est donc démontrée.

On a donc bien prouvé $ (H_d)$ pour tout $ d\in\mathbb{N}\cup\{-\infty\}$.

Une fois qu'on en est arrivé là, il ne reste donc plus qu'à montrer que pour un polynôme $ P$ (le polynôme $ SA+TB$) il existe un unique $ D$ unitaire tel que $ Q$ divise $ P$ si et seulement si $ Q$ divise $ D$. L'existence est claire : comme le résumé le suggère, on divise $ P$ par son coefficient dominant et on obtient un polynôme $ D$ unitaire ayant les mêmes diviseurs que $ P$. Pour ce qui est de l'unicité, elle est évidente pour $ P$ nul ; on supposera $ P$ non nul. Soit maintenant $ D_1$ un polynôme unitaire ayant exactement les mêmes diviseurs que $ P$. Alors comme $ P$ divise $ P$, $ P$ divise $ D_1$, et comme $ D_1$ divise $ D_1$, $ D_1$ divise $ P$. Les polynômes $ P$ et $ D_1$ se divisent donc mutuellement ; soit $ Q_1$ et $ Q_2$ les quotients respectifs de $ P$ par $ D_1$ et de $ D_1$ par $ P$. En utilisant la formule calculant le degré d'un produit, on voit que forcément, $ P$ a même degré que $ D_1$ et que les polynômes $ Q_1$ et $ Q_2$ sont de degré nul, donc des constantes $ \lambda_1$ et $ \lambda_2$. Soit $ a_d$ le coefficient dominant de $ P$ ; le coefficient dominant de $ Q_1D_1=P$ vaut $ \lambda_1\cdot 1$ donc $ \lambda_1=a_d$ et $ D_1$ est égal à $ P/$(coefficient dominant de $ P$), donc à $ D$, ce qui prouve l'unicité.$ \square$

Nous allons ensuite définir le pgcd d'un nombre fini de polynômes. En arithmétique des entiers, cette notion n'est pas primordiale ; en revanche dans les applications des raisonnements arithmétiques à des polynômes, on est souvent dans des cas où on s'intéresse à des pgcds de plus de deux polynômes à la fois.

L'énoncé donné ci-dessus pour deux polynômes se généralise à un nombre fini, par récurrence sur ce nombre.

Proposition 9   Soit $ \mathbb{K}$ un corps commutatif, $ n\geqslant 1$ un entier et $ A_{1}$, $ A_{2}$, ..., $ A_{n}$ des polynômes de $ \mathbb{K}[X]$. Il existe un unique polynôme unitaire $ D$ de $ \mathbb{K}[X]$ tel que pour tout $ P$ dans $ \mathbb{K}[X]$, $ P$ divise tous les $ A_{i}$ de $ i=1$ à $ i=n$ si et seulement si $ P$ divise $ D$.

De plus il existe $ n$ polynômes $ S_1,\ldots,S_n$ tels que

$\displaystyle D=S_1A_1+S_2A_2+\cdots+S_nA_n
$

(identité de Bézout).

Démonstration : C'est une récurrence facile sur $ n$. Le cas $ n=2$ est l'objet du théorème précédent (et le cas $ n=1$ a été traité dans sa démonstration, ou on peut le ramener fictivement à $ n=2$ en disant que les diviseurs de $ A_1$ sont les diviseurs communs de $ A_1$ et de 0).

Soit $ n\geqslant 2$ fixé, supposons la proposition vraie pour tout ensemble de $ n$ polynômes. Prenons $ n+1$ polynômes $ A_1,A_2,\ldots,A_{n+1}$. Notons $ B$ le pgcd des $ n$ premiers, qui existe par l'hypothèse de récurrence. Alors les diviseurs communs de $ A_1$, $ A_2$, $ \ldots$, $ A_{n+1}$ sont les diviseurs communs de $ B$ et de $ A_{n+1}$ ; donc prendre $ D=\mathrm{pgcd}(B,A_{n+1})$ répond à la question. L'unicité est claire : si $ D_1$ répondait aussi à la question, les diviseurs de $ D_1$ seraient exactement les mêmes que ceux de $ D$ avec $ D$ et $ D_1$ tous deux unitaires, et comme dans la preuve du théorème précédent (ou en appliquant le théorème précédent à $ D$ et 0), on conclut que $ D=D_1$. La relation de Bézout est aussi le résultat d'une récurrence immédiate : il existe $ S_1,S_2,\ldots,S_n$ tels que $ B=S_1A_1+S_2A_2+\cdots+S_nA_n$ et $ T_1$ et $ T_2$ tels que $ D=T_1B+T_2A_{n+1}$ donc

$\displaystyle D=(T_1S_1)A_1+(T_1S_2)A_2+\cdots+(T_1S_n)A_n+T_2A_{n+1}.
$

$ \square$

Définition 11   Soit $ \mathbb{K}$ un corps commutatif et $ n\geqslant 1$ un entier. On dira que $ n$ polynômes de $ \mathbb{K}[X]$ sont premiers entre eux lorsque leurs seuls diviseurs communs sont constants (en d'autres termes, quand leur $ \mathrm{pgcd}$ est $ 1$).

On prendra garde à ne pas confondre «premiers entre eux»  (on dit parfois «premiers entre eux dans leur ensemble») et «deux à deux premiers entre eux»  : dans $ \mathbb{R}[X]$, les polynômes

$\displaystyle (X-1)(X-2)\;,\quad(X-1)(X-3)\;,\quad (X-2)(X-3)
$

sont premiers entre eux (dans leur ensemble) mais ils ne sont pas deux à deux premiers entre eux.

Les polynômes irréductibles sont les analogues des nombres premiers. Toutefois les usages étant ce qu'ils sont, il y a une petite nuance de vocabulaire un peu désagréable : alors que le mot «nombre premier»  est réservé à des entiers positifs, le mot «polynôme irréductible»  n'est pas réservé à des polynômes unitaires. On se méfiera de cette peu perceptible nuance qui crée de légères discordances entre énoncés analogues portant les uns sur les polynômes et les autres sur les entiers.

Définition 12   Soit $ \mathbb{K}$ un corps commutatif. On dira qu'un polynôme $ P$ dans $ \mathbb{K}[X]$ est irréductible lorsqu'il possède exactement deux diviseurs unitaires.

On remarquera tout de suite que ces deux diviseurs unitaires sont alors forcément les polynômes $ 1$ et $ P/$(coefficient dominant de $ P$).

La proposition suivante est évidente, mais donne un exemple fondamental de polynômes irréductibles :

Proposition 10   Soit $ \mathbb{K}$ un corps commutatif. Dans $ \mathbb{K}[X]$, les polynômes du premier degré sont irréductibles.

Démonstration : Soit $ P=aX+b$ avec $ a\not=0$ un polynôme du premier degré dans $ \mathbb{K}[X]$. Cherchons ses diviseurs unitaires. Un diviseur de $ P$ doit avoir un degré inférieur ou égal à celui de $ P$. Le seul diviseur unitaire constant de $ P$ est le seul polynôme constant unitaire : la constante $ 1$. Cherchons les diviseurs unitaires de la forme $ X+c$ de $ P$. Si $ X+c$ divise $ P$, il existe un polynôme $ Q$ tel que $ P=(X+c)Q$ et en comparant les degrés, $ Q$ est nécessairement constant. En comparant les coefficients dominants, nécessairement $ Q=a$ donc $ c=\displaystyle\frac{b}{a}$. Ainsi $ P$ possède exactement un diviseur unitaire du premier degré, le polynôme $ X+\displaystyle\frac{b}{a}$. Le polynôme $ P$ est donc irréductible.$ \square$

Sur un corps quelconque, déterminer quels polynômes sont irréductibles et lesquels ne le sont pas est un problème très sérieux ; dans quelques pages, nous verrons que ce problème a une solution simple dans les cas particuliers des polynômes à coefficients complexes ou réels.

Le résultat fondamental est, comme en arithmétique entière, l'existence et unicité de la décomposition en facteurs irréductibles. Elle repose là encore sur le «lemme de Gauss». On ne réécrit pas les démonstrations pour deux raisons totalement contradictoires : d'abord parce que ce sont exactement les mêmes, et ensuite parce que ce ne sont pas exactement les mêmes -une petite difficulté se pose pour énoncer l'unicité de la décomposition en facteurs irréductibles d'un polynôme. Pour des entiers, on a convenu de classer les facteurs dans l'ordre croissant : ainsi $ 6$ se décompose en $ 2\cdot 3$ et non en $ 3\cdot 2$. Une telle convention ne peut être appliquée pour décomposer des polynômes, aucun ordre «raisonnable»  n'étant à notre disposition sur l'ensemble des polynômes irréductibles ; ainsi dans $ \mathbb{C}[X]$ peut-on écrire selon la fantaisie du moment $ X^2+1=(X-\mathrm{i})(X+\mathrm{i})$ ou $ X^2+1=(X+\mathrm{i})(X-\mathrm{i})$. Quand on énonce ci-dessous que la décomposition est «unique»  on sous-entend donc qu'on considère les deux exemples qui précèdent comme la même décomposition, ce qui peut s'énoncer rigoureusement mais lourdement. Voulant glisser sur ce détail, on se condamne à rester un peu vaseux.

Voici donc le lemme de Gauss.

Lemme 2   Soit $ \mathbb{K}$ un corps commutatif. Soient $ A$, $ B$ et $ C$ trois polynômes de $ \mathbb{K}[X]$. Si $ A$ divise $ BC$ et est premier avec $ C$, alors $ A$ divise $ B$.

Démonstration : La même que pour les entiers, avec des majuscules.$ \square$

Et voici le théorème de décomposition en facteurs irréductibles.

Théorème 3 (Énoncé moyennement précis)   Soit $ \mathbb{K}$ un corps commutatif.
Tout polynôme $ P$ non nul de $ \mathbb{K}[X]$ peut s'écrire de façon «unique»  en produit :

$\displaystyle P=\lambda P_1^{\alpha_1}P_2^{\alpha_2}\cdots P_k^{\alpha_k},
$

dans lequel $ \lambda$ est le coefficient dominant de $ P$, les $ P_i$ pour $ 1\leqslant i\leqslant k$ sont des polynômes irréductibles unitaires deux à deux distincts, et les $ \alpha_i$ sont des entiers strictement positifs.

Démonstration : À peu près la même que pour les entiers, avec un peu plus de soin pour l'unicité.$ \square$


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