Familles génératrices

D'après le théorème 3, un sous-espace vectoriel contient toutes les combinaisons linéaires d'un nombre quelconque de vecteurs : pour tout entier $ n$, pour tous vecteurs $ v_1,\ldots,v_n$ de $ E$, et pour tous réels $ \lambda_1,\ldots,\lambda_n$,

$\displaystyle \lambda_1 v_1+\cdots+\lambda_n v_n
=\sum_{i=1}^n\lambda_i v_i\in E\;.
$

Une des manières de fabriquer un sous-espace vectoriel est de partir d'une famille d'éléments, puis de lui adjoindre toutes les combinaisons linéaires de ces éléments. Une famille d'éléments de $ E$ est définie comme une application d'un ensemble d'indices $ I$, à valeurs dans $ E$.

$\displaystyle {\cal V} = \big(  v_i ,\;i\in I \big)
$

Définition 4   Soit $ E$ un espace vectoriel et $ {\cal V}$ une famille de vecteurs de $ E$. On appelle sous-espace engendré par $ {\cal V}$ l'ensemble des combinaisons linéaires de sous-familles finies quelconques d'éléments de $ {\cal V}$.

On dit que $ {\cal V}$ est une famille génératrice pour $ E$ si le sous-espace engendré par $ {\cal V}$ est $ E$ lui-même.

L'ensemble des combinaisons linéaires d'éléments de $ {\cal V}$ est un espace vectoriel, d'après le théorème 3. Le même théorème implique aussi que tout espace vectoriel contenant $ {\cal V}$ doit contenir toutes les combinaisons linéaires de ses éléments. Donc le sous-espace engendré par $ {\cal V}$ est inclus dans tout sous-espace contenant $ {\cal V}$. Voici quelques exemples de familles avec les espaces qu'elles engendrent.
Complexes
Famille Espace engendré
$ \big( \mathrm{i} \big)$ $ \{ z\in\mathbb{C} ,\;$Re$ (z)=0 \}$
$ \big( \mathrm{e}^{\mathrm{i}\pi/4} \big)$ $ \{ z\in\mathbb{C} ,\;$Re$ (z)=$Im$ (z) \}$
$ \big( 1,\mathrm{i} \big)$ $ \mathbb{C}$
Couples de réels
Famille Espace engendré
$ \big( (0,1) \big)$ $ \{ (x,y)\in\mathbb{R}^2 ,\; x=0 \}$
$ \big( (1,1) \big)$ $ \{ (x,y)\in\mathbb{R}^2 ,x=y \}$
$ \big( (0,1),(1,1) \big)$ $ \mathbb{R}^2$
Matrices
Famille Espace engendré
$ \left( \left(\begin{array}{cc}0&0 0&0\end{array}\right) \right)$ $ \left\{ \left(\begin{array}{cc}0&0 0&0\end{array}\right) \right\}$
$ \left( \left(\begin{array}{cc}1&0 0&1\end{array}\right) \right)$ $ \left\{ \left(\begin{array}{cc}\lambda&0 0&\lambda\end{array}\right) ,\;
\lambda\in\mathbb{R} \right\}$
$ \left( \left(\begin{array}{rr}1&-1 0&0\end{array}\right) , 
\left(\begin{array}{rr}0&0 1&-1\end{array}\right) \right)$ $ \left\{ A\in{\cal M}_{2,2}(\mathbb{R}) ,\; A\binom{1}{1}=\binom{0}{0} \right\}$
Suites de réels
Famille Espace engendré
$ \big( (2^n) \big)$ $ \{ (u_n) ,\;\forall n ,\;u_{n+1}=2u_n \}$
$ \big( (u_n) ,\;\exists n_0 ,\;\forall n\neq n_0 ,\; u_n=0 \big)$ $ \{ (u_n) ,\;\exists n_0 ,\;\forall n\geqslant n_0 ,\; u_n=0 \}$
$ \big( (u_n) ,\;\forall n ,\;u_n\in[0,1] \big)$ $ \{ (u_n) ,\;\exists M ,\;\vert u_n\vert\leqslant M \}$
Polynômes
Famille Espace engendré
$ \big( X \big)$ $ \{ \lambda X ,\;\lambda\in\mathbb{R} \big\}$
$ \big( 1+X,1-X \big)$ $ \{ P\in\mathbb{R}[X] ,\;$deg$ (P)\leqslant 1 \}$
$ \big( P\in\mathbb{R}[X] ,\;P(1)=1 \big)$ $ \mathbb{R}[X]$
Fonctions de $ \mathbb{R}$ dans $ \mathbb{R}$
Famille Espace engendré
$ \big(  \cos \big)$ $ \{  \lambda \cos ,\;\lambda\in\mathbb{R} \}$
$ \big(  \cos,\sin \big)$ $ \{  \lambda\cos+\mu\sin ,\;\lambda,\mu\in\mathbb{R} \}$
$ \big(  f ,\;f(0)=1 \big)$ $ \mathbb{R}^\mathbb{R}$
Notre définition de la somme de deux sous-espaces utilise la notion de sous-espace engendré.

Définition 5   Soient $ E$ un espace vectoriel, $ F$ et $ G$ deux sous-espaces vectoriels de $ E$. On appelle somme de $ F$ et $ G$, et on note $ F+G$, l'espace engendré par la famille des vecteurs de $ F\cup G$.

Si $ F\cap G=\{0\}$, on dit que la somme est directe, et on la note $ F\oplus G$.

Si $ F\oplus G=E$, on dit que $ F$ et $ G$ sont supplémentaires dans $ E$.

La justification du terme «somme»  et l'intérêt de cette notion résident dans la proposition suivante.

Proposition 4   Soient $ E$ un espace vectoriel, $ F$ et $ G$ deux sous-espaces vectoriels de $ E$.
  1. $ F+G = \{  v+w ,\;v\in F ,\;w\in G \}$.
  2. Si $ F\cap G=\{0\}$, alors pour tout vecteur $ u$ dans $ F\oplus G$ il existe un unique couple de vecteurs $ (v,w)$, tels que $ v\in F$, $ w\in
G$ et $ u=v+w$.

La figure 1 illustre la notion de somme directe.

Figure 1: Somme directe d'espaces vectoriels et décomposition d'un vecteur de la somme.
\includegraphics[width=10cm]{somme}

Démonstration : Tout vecteur de la forme $ v+w$, où $ v\in F$ et $ w\in
G$, appartient à l'espace engendré par $ F\cup G$. Réciproquement l'espace engendré par $ F\cup G$ est formé des combinaisons linéaires d'un nombre quelconque d'éléments de $ F\cup G$. Mais une telle combinaison linéaire peut s'écrire comme la somme de deux combinaisons linéaires : l'une ne contient que des éléments de $ F$, et appartient donc à $ F$, l'autre ne contient que des éléments de $ G$, et appartient donc à $ G$.

Dans le cas où la somme est directe, l'existence de la décomposition $ u=v+w$ est démontrée par ce qui précède. Nous devons prouver l'unicité. Supposons $ u=v_1+w_1=v_2+w_2$, avec $ v_1,v_2\in F$ et $ w_1,w_2\in
G$. Les deux vecteurs $ v_1-v_2$ et $ w_2-w_1$ sont égaux, donc ils appartiennent à la fois à $ F$ et à $ G$. Par hypothèse, $ F\cap G=\{0\}$, donc $ v_1=v_2$ et $ w_1=w_2$. $ \square$ Dans l'espace vectoriel $ \mathbb{R}[X]$ des polynômes, considérons les deux familles suivantes :

$\displaystyle {\cal V} = \big(  X^{2k} ,\;k\in\mathbb{N} \big)$   et$\displaystyle \quad
{\cal W} = \big(  X^{2k+1} ,\;k\in\mathbb{N} \big)
$

Ce sont respectivement les familles des monômes de degrés pairs, et des monômes de degré impair. Soient $ F$ et $ G$ les espaces vectoriels engendrés respectivement par $ {\cal V}$ et $ {\cal
W}$. L'espace vectoriel $ F$ contient tous les polynômes constitués uniquement de monômes de degrés pairs : par exemple, $ 1+3X^2-2X^4$. L'espace vectoriel $ G$ contient le polynôme nul, et tous les polynômes constitués uniquement de monômes de degrés impairs : par exemple, $ X+2X^3-X^5$. L'intersection de $ F$ et $ G$ est réduite au polynôme nul. De plus, tout polynôme de $ \mathbb{R}[X]$ s'écrit (de façon unique) comme somme d'un élément de $ F$ et d'un élément de $ G$. Par exemple :

$\displaystyle 1+X+3X^2+2X^3-2X^4-X^5 = \big(1+3X^2-2X^4\big)+\big(X+2X^3-X^5\big)
$

Les sous-espaces $ F$ et $ G$ sont supplémentaires dans $ \mathbb{R}[X]$.

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