La formule de Machin

Non, il ne s'agit pas d'un mathématicien aussi inconnu que quelconque, mais bien de John Machin (1680-1751). Pour autant, on ne sait pas grand chose de la date à laquelle il a obtenu sa formule, ni même de la méthode avec laquelle il l'aurait démontrée (si tant est qu'il l'ait démontrée). Elle apparaît dans un livre de William Jones en 1706. Celui-ci dit :
...  dans le cercle, le diamètre est à la circonférence comme $ 1$ à $ \left(\frac{16}{5}-\frac{4}{239}\right)
-\frac{1}{3}\left(\frac{16}{5^3}-\frac{4}{239^3}\right)\&c.=3.14159\&c.
=\pi$. J'ai reçu cette série (parmi d'autres pour le même but, et tirées du même principe), de l'excellent analyste, et mon ami très estimé, Mr John Machin.
En écriture moderne :

$\displaystyle \lim_{n\to\infty}\sum_{k=0}^n \frac{(-1)^k}{2k+1}\left(\frac{16}{5^{2k+1}}- \frac{4}{239^{2k+1}}\right)=\pi\;.$ (4)

Calculer la somme ci-dessus pour une valeur de $ n$ raisonnablement élevée permet d'obtenir $ \pi$ avec une grande précision. Jones lui-même dit que $ \pi$ peut ainsi être calculé «to 100 places; as computed by the accurate and ready pen of the truly ingenious Mr John Machin». D'où vient cette formule (4) ? Tout simplement du développement de la fonction arc tangente connu, bien avant Taylor, de James Gregory (1638-1675).

$\displaystyle \arctan(x)=x-\frac{x^3}{3}+\frac{x^5}{5}+\cdots
+\frac{(-1)^nx^{2n+1}}{2n+1}+o(x^{2n+1})\;.
$

On démontre que pour $ \vert x\vert< 1$, $ \arctan(x)$ est effectivement limite de ses polynômes de Taylor.

$\displaystyle \forall x ,\;\vert x\vert<1\;,\quad \arctan(x)=\lim_{n\to\infty}
\sum_{k=0}^n \frac{(-1)^k x^{2k+1}}{2k+1}\;.
$

C'est encore vrai pour $ x=1$ :

$\displaystyle \frac{\pi}{4}=\arctan(1)=\lim_{n\to\infty} \sum_{k=0}^n \frac{(-1)^k}{2k+1}\;.$ (5)

Mais (5) n'est pas très utile : si on calcule la somme pour $ n=1000$, on n'obtient que $ 2$ décimales exactes de $ \pi$. Là interviennent les formules trigonométriques, et en particulier :

$\displaystyle \forall a,b  ,\;ab\neq 1\;,\quad
\arctan(a)+\arctan(b)=\arctan\left(\frac{a+b}{1-ab}\right)\;.
$

Cela devrait vous suffire pour vérifier que :

$\displaystyle \arctan(1)=4\arctan\left(\frac{1}{5}\right)
-\arctan\left(\frac{1}{239}\right)\;,
$

ce qui est équivalent à la formule de Machin. La convergence est effectivement beaucoup plus rapide : en calculant dans (4) la somme pour $ n=10$, on obtient déjà 15 décimales exactes. Sur le même modèle, de nombreuses autres formules de calcul de $ \pi$ ont été trouvées. Voici celle de Störmer (1896) :

$\displaystyle \frac{\pi}{4}=44\arctan\left(\frac{1}{57}\right)+
7\arctan\left(\...
...-12\arctan\left(\frac{1}{682}\right)+
24\arctan\left(\frac{1}{12943}\right)\;,
$

et celle de Takano (1982) :

$\displaystyle \frac{\pi}{4}=12\arctan\left(\frac{1}{49}\right)+
32\arctan\left(...
...-5\arctan\left(\frac{1}{239}\right)+
12\arctan\left(\frac{1}{110443}\right)\;.
$

De nos jours, les formules basées sur le développement de la fonction arc tangente sont encore utilisées, ainsi que bien d'autres, dans la course aux décimales de $ \pi$ (cf. www.pi314.net). Le record est détenu depuis le 6 décembre 2002 par Kanada et ses collaborateurs avec pas moins de $ 1 241 100 000 000$ décimales ! Le calcul, effectué à l'aide de la formule de Takano, puis vérifié par celle de Störmer, a pris au total 601 heures et 56 minutes sur un ordinateur Hitachi à 64 processeurs, chacun traitant $ 14.4 10^9$ opérations par seconde.

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