Décomposition en éléments simples

L'objectif principal de cette section est le théorème de décomposition en éléments simples, utilisé notamment pour le calcul des primitives de fractions rationnelles, et qui est un peu indigeste.

Théorème 6   On se donne une fraction rationnelle $ P/Q$ élément de $ \mathbb{K}(X)$ et on considère la décomposition de $ Q$ en produits de polynômes unitaires irréductibles :

$\displaystyle Q=\lambda Q_1^{\alpha_1}Q_2^{\alpha_2}\cdots Q_k^{\alpha_k}.
$

Alors il existe une et une seule écriture :

$\displaystyle \frac{P}{Q}=R+\frac{A_{1,1}}{Q_1}+\cdots+\frac{A_{1,\alpha_1}}{Q_...
...a_2}}+\cdots+
\frac{A_{k,1}}{Q_k}+\cdots\frac{A_{k,\alpha_k}}{Q_k^{\alpha_k}},
$

dans laquelle $ R$ et les $ A_{i,j}$ sont tous des polynômes de $ \mathbb{K}[X]$ qui vérifient en outre la condition suivante, portant sur les degrés : pour tout couple d'indices $ (i,j)$ tel que $ 1\leqslant i\leqslant k$ et $ 1\leqslant j\leqslant \alpha_i$,

$\displaystyle \deg A_{i,j}<\deg Q_i.$

DémonstrationPreuve de l'existence

Dans un premier temps, on va considérer les polynômes :

$\displaystyle T_1=Q_2^{\alpha_2}Q_3^{\alpha_3}\cdots Q_k^{\alpha_k},\quad
T_2
=...
...uad \ldots\quad
T_k=Q_1^{\alpha_1}Q_2^{\alpha_2}\cdots Q_{k-1}^{\alpha_{k-1}}.
$

Chaque $ T_{i}$ reprend les facteurs de la décomposition de $ Q$ à l'exception de $ \lambda$ et $ Q_{i}^{\alpha_{i}}$.

Un éventuel diviseur irréductible unitaire commun à tous ces polynômes doit diviser $ T_k$ ; ce doit donc être un des polynômes $ Q_i$ avec $ i<k$. Mais $ Q_1$ ne divise pas $ T_1$, $ Q_2$ ne divise pas $ T_2$, et ce jusqu'à $ Q_{k-1}$ qui ne divise pas $ T_{k-1}$. Les polynômes $ T_1$, ..., $ T_k$ ne possèdent donc aucun diviseur irréductible unitaire commun ; cela entraîne qu'ils sont premiers entre eux.

On peut donc écrire une identité de Bézout : il existe des polynômes $ S_1$, ..., $ S_k$ de $ \mathbb{K}[X]$, tels que

$\displaystyle 1=S_1T_1+S_2T_2+\cdots+S_kT_k.
$

Multiplions cette identité par $ \displaystyle\frac{P}{Q}=
\displaystyle\frac{P}{\lambda Q_1^{\alpha_1}
Q_2^{\alpha_2}\cdots Q_k^{\alpha_k}}$ ; on obtient :

$\displaystyle \frac{P}{Q}
=
PS_1\frac{T_1}{Q}+PS_2\frac{T_2}{Q}+\cdots+PS_k\fra...
...mbda}
\frac{\lambda T_2}{Q}+\cdots
+\frac{PS_k}{\lambda}\frac{\lambda T_k}{Q},
$

donc

$\displaystyle \frac{P}{Q}
=
\frac{PS_1}{\lambda}\frac{1}{Q_1^{\alpha_1}}+
\frac...
...\frac{1}{Q_2^{\alpha_2}}
+\cdots+\frac{PS_k}{\lambda}\frac{1}{Q_k^{\alpha_k}}.
$

En notant $ B_1$, ..., $ B_k$ les divers numérateurs qui interviennent dans la dernière formule, on a donc réussi à écrire :

$\displaystyle \frac{P}{Q}=\frac{B_1}{Q_1^{\alpha_1}}+\frac{B_2}{Q_2^{\alpha_2}}+\cdots+
\frac{B_k}{Q_k^{\alpha_k}}.
$

On va alors manipuler successivement chacun des termes de cette addition. Fixons un $ i$ avec $ 1\leqslant i\leqslant k$ et travaillons l'expression $ \displaystyle\frac{B_i}{Q_i^{\alpha_i}}.$

On commence par faire la division euclidienne de $ B_i$ par $ Q_i$, en notant judicieusement le quotient et le reste :

$\displaystyle B_i=B_{i,{\alpha_i}}Q_i+A_{i,\alpha_i}
\hbox{ avec }\deg A_{i,\alpha_i} <\deg Q_i.
$

En reportant cette division euclidienne en lieu et place de $ B_i$ on a réécrit :

$\displaystyle \frac{B_i}{Q_i^{\alpha_i}}=\frac{B_{i,{\alpha_i}}}{Q_i^{\alpha_i - 1}}+
\frac{A_{i,\alpha_i}}{Q_i^{\alpha_i}}.$

On recommence une division euclidienne, cette fois-ci de $ B_{i,\alpha_i}$ par $ Q_i$, en notant toujours opportunément quotient et reste :

$\displaystyle B_{i,{\alpha_i}}=B_{i,{\alpha_i-1}}Q_i+A_{i,\alpha_i-1}
\hbox{ avec }\deg A_{i,\alpha_i-1} <\deg Q_i$

et on reporte de nouveau dans l'expression la plus fraîche de $ \displaystyle\frac{B_i}{Q_i^{\alpha_i}}$ ; on obtient :

$\displaystyle \frac{B_i}{Q_i^{\alpha_i}}=\frac{B_{i,{\alpha_i-1}}}{Q_i^{\alpha_...
...ac{A_{i,\alpha_i-1}}{Q_i^{\alpha_i-1}}+
\frac{A_{i,\alpha_i}}{Q_i^{\alpha_i}}.
$

On recommence jusqu'à ne plus pouvoir recommencer, ce qui donne finalement une expression :

$\displaystyle \frac{B_i}{Q_i^{\alpha_i}}=B_{i,1}+\frac{A_{i,1}}{Q_i}+
\cdots+\frac{A_{i,\alpha_i-1}}{Q_i^{\alpha_i-1}}+
\frac{A_{i,\alpha_i}}{Q_i^{\alpha_i}}.
$

Il n'y a plus qu'à regrouper toutes ces expressions et à noter

$\displaystyle R=B_{1,1}+B_{2,1}+\cdots+B_{k,1}
$

pour avoir terminé la preuve d'existence.

Preuve de l'unicité

On l'écrira (peut-être) une prochaine fois, elle n'est pas spécialement amusante. Contrairement à la preuve d'existence, il n'y a guère d'idées, seulement des décomptes de degrés.$ \square$ Pour comprendre cette décomposition, le mieux est d'examiner sa forme sur un cas particulier, rassemblant les différentes situations. Voici deux polynômes $ P$ et $ Q$ dans $ \mathbb{R}[X]$ avec $ Q$ non nul, qui définissent donc une fraction rationnelle $ P/Q$ dans $ \mathbb{R}(X)$, et la décomposition de $ P/Q$ dans $ \mathbb{R}(X)$. On choisit

$\displaystyle P=X^{13},\quad Q=(X-1)^3(X-2)^2(X-3)(X^2+1)^2(X^2+X+1).
$

Alors,
$ \displaystyle\frac{P}{Q}$ $\displaystyle =$ $\displaystyle A + BX
+
\frac{C}{X-1}+\frac{D}{(X-1)^2}+\frac{E}{(X-1)^3}
+\frac{F}{X-2}+\frac{G}{(X-2)^2}+$  
    $\displaystyle \qquad\qquad
\qquad\qquad
\qquad\qquad
+\frac{H}{X-3}+\frac{IX+J}{X^2+1}+\frac{KX+L}{(X^2+1)^2}
+
\frac{MX+N}{X^2+X+1}\;,$  

où les lettres de $ A$ jusqu'à $ M$ désignent des réels à déterminer. La théorie assure que ces réels existent et sont uniques. Il suffirait donc de réduire tous les éléments simples au même dénominateur, et d'identifier les numérateurs pour obtenir autant d'équations que d'inconnues (14 dans notre cas). Ce n'est pas ainsi qu'on procède en pratique. On utilise plusieurs techniques de manière à déterminer le plus de coefficients possibles par des équations simples. Voici ces techniques.

Pour la partie polynomiale Celle-ci est non nulle seulement dans le cas où le degré du numérateur est supérieur ou égal au degré du dénominateur. Dans ce cas le polynôme cherché, que l'on appelle la partie entière, est le quotient $ D$ de la division euclidienne de $ P$ par $ Q$ :

$\displaystyle P = DQ+R\;,
$

où le reste $ R$ est de degré strictement inférieur au degré de $ Q$. Dans notre exemple, $ D=X+9$. Il faut s'assurer auparavant que la fraction est bien irréductible, et la simplifier éventuellement si elle ne l'était pas.

Pour les termes en $ (X-a)^{\alpha}$ Si on multiplie les deux membres de la décomposition par $ (X-a)^{\alpha}$, la racine $ a$ disparaît. On peut donc remplacer $ X$ par $ a$, ce qui annule tous les termes de la décomposition sauf un. Il reste à gauche une certaine valeur, que l'on calcule en général facilement. Dans notre exemple, si on multiplie les deux membres par $ (X-1)^3$, et qu'on remplace $ X$ par $ 1$, on trouve :

$\displaystyle \frac{1^{13}}{(1-2)^2(1-3)(1^2+1)^2(1^2+1+1)}=E\;,
$

soit $ E=-\frac{1}{24}$.

Pour les termes en $ (aX^2+bX+c)^{\beta}$

On procède de même, en remplaçant $ X$ par une des racines complexes du trinôme. Dans notre cas, on multiplie les deux membres par $ (X^2+1)^2$, et on remplace $ X$ par $ \mathrm{i}$. On trouve :

$\displaystyle \frac{\mathrm{i}^{13}}{(\mathrm{i}-1)^3(i-2)^2(\mathrm{i}-3)(\mathrm{i}^2+\mathrm{i}+1)} = K\mathrm{i}+L\;.
$

On identifie alors la partie réelle et la partie imaginaire : $ K=-\frac{1}{100}$ et $ L=-\frac{1}{50}$.

Pour les autres termes Il faut chercher les équations les plus simples possibles, en prenant des valeurs particulières pour $ X$, qui ne soient pas des racines du dénominateur ($ X=0$, $ X=\pm 1$, etc...). On peut aussi penser à faire tendre $ X$ vers l'infini. On n'a recours à une réduction au même dénominateur avec identification des coefficients qu'en dernier ressort.

Voici un exemple plus simple, sur lequel nous allons détailler tous les calculs. Il s'agit de décomposer en éléments simples la fraction rationnelle

$\displaystyle \frac{P}{Q} = \frac{X^6+1}{(X-1)(X^2+X+1)^2}\;.
$

Le numérateur et le dénominateur sont premiers entre eux, la fraction est bien irréductible. Sa décomposition en éléments simples dans $ \mathbb{R}(X)$ a la forme suivante.

$\displaystyle \frac{P}{Q}= A+BX + \frac{C}{(X-1)}
+\frac{DX+E}{(X^2+X+1)} +\frac{FX+G}{(X^2+X+1)^2}\;,
$

où les lettres de $ A$ jusqu'à $ G$ désignent des réels à déterminer. La division euclidienne du numérateur par le dénominateur donne :

$\displaystyle X^6+1 = (X-1)\Big((X-1)(X^2+X+1)^2\Big) +2X^3\;.
$

Donc $ A=1$, $ B=-1$, et :

$\displaystyle \frac{P}{Q}
= X-1 + \frac{2X^3}{(X-1)(X^2+X+1)^2}\;.
$

On peut désormais ne travailler que sur la partie restante, à savoir :

$\displaystyle \frac{2X^3}{(X-1)(X^2+X+1)^2}= \frac{C}{(X-1)}
+\frac{DX+E}{(X^2+X+1)} +\frac{FX+G}{(X^2+X+1)^2}\;.
$

On multiplie les deux membres par $ (X-1)$, et on remplace $ X$ par $ 1$. On trouve $ C=\frac{2}{9}$.
On multiplie ensuite les deux membres par $ (X^2+X+1)^2$, et on remplace $ X$ par $ j=-\frac{1}{2}+\mathrm{i}\frac{\sqrt{3}}{2}$. On trouve $ Fj+G=-1-\mathrm{i}\frac{\sqrt{3}}{3}$. En identifiant les parties réelles et imaginaires, on trouve $ -\frac{1}{2}F+G=-1$ et $ \frac{\sqrt{3}}{2}F=-\frac{\sqrt{3}}{3}$. La solution de ce système de deux équations à deux inconnues est $ F=-\frac{2}{3}$ et $ G=-\frac{4}{3}$.
On peut ensuite remplacer $ X$ par $ \mathrm{i}$, et identifier partie réelle et partie imaginaire. On trouve $ D=-\frac{2}{9}$ et $ E=\frac{14}{9}$.

Une fois tout cela fait, il est bon de vérifier les calculs, en utilisant une ou plusieurs valeurs particulières. Ainsi,

Voici donc la décomposition dans $ \mathbb{R}(X)$.

$\displaystyle \frac{P}{Q}
=
X-1 + \frac{\frac{2}{9}}{(X-1)}
+\frac{-\frac{2}{9}X+\frac{14}{9}}{(X^2+X+1)} +
\frac{-\frac{2}{3}X-\frac{4}{3}}{(X^2+X+1)^2}
$

La décomposition dans $ \mathbb{C}(X)$ a une forme différente. Nous notons encore $ j=-\frac{1}{2}+\mathrm{i}\frac{\sqrt{3}}{2}$, de sorte que $ j$ et $ \overline{j}$ sont les deux racines de $ X^2+X+1$.

$\displaystyle \frac{P}{Q}
= AX+B + \frac{C}{X-1}
+\frac{D}{X-j}+\frac{E}{(X-j)^2} +\frac{F}{X-\overline{j}}+
\frac{G}{(X-\overline{j})^2} \;,
$

A priori, les lettres de $ A$ jusqu'à $ G$ désignent des nombres complexes, mais le fait que la fraction initiale ait tous ses coefficients réels simplifie quelque peu le problème : la décomposition ne doit pas changer si on prend le conjugué des deux membres. L'unicité de cette décomposition entraîne :

$\displaystyle A=\overline{A}\;,\quad
B=\overline{B}\;,\quad
C=\overline{C}\;,\quad
D=\overline{F}\;,\quad
E=\overline{G}\;,\quad
$

Les techniques de décomposition utilisées dans $ \mathbb{R}(X)$ restent valables. On trouve donc encore :

$\displaystyle A=1\;,\quad B=-1\;,\quad C=\frac{2}{9}\;.
$

Nous laissons au lecteur le plaisir de calculer les autres coefficients. La décomposition dans $ \mathbb{C}(X)$ est la suivante :

$\displaystyle \frac{P}{Q}
=
X-1 + \frac{\frac{2}{9}}{X-1}
+\frac{-\frac{1}{9}-...
...e{j}}+
\frac{\frac{1}{3}-\mathrm{i}\frac{\sqrt{3}}{9}}{(X-\overline{j})^2}
\;.
$


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