La formule d'Euler pour les polyèdres

On doit à Leonhard Euler (1707-1783) la formule suivante : si un polyèdre convexe de l'espace a $ s$ sommets, $ a$ arêtes et $ f$ faces, alors $ s-a+f=2$.

Il existe de nombreuses démonstrations de cette formule, issues de domaines très divers des mathématiques, plus ou moins complètes et plus ou moins rigoureuses. Une des plus simples consiste à choisir un point $ O$ à l'intérieur du polyèdre, et à projeter le polyèdre sur une sphère de centre $ O$ par une projection centrale de centre $ O$. Les faces du polyèdre se projettent selon des polygones sphériques convexes et on utilise alors la formule de Girard donnant l'aire d'un tel polygone en fonction de ses angles (voir la partie Géométrie sphérique dans le chapitre Géométrie euclidienne).

L'inconvénient de cete méthode est qu'elle fait appel à des notions euclidiennes (la sphère, les aires) alors que le problème de départ est purement affine.

Mais les démonstrations purement affines qu'ont données de cette formule beaucoup d'auteurs, en prétendant parfois l'étendre à des polyèdres non convexes, se sont souvent révélées sinon fausses, du moins incomplètes, en considérant comme «évidentes» des propriétés intuitives sans en donner réellement de justification.

C'est justement en tentant d'étendre cette formule à des polyèdres plus généraux (non convexes) que l'on s'est progressivement aperçu des failles de certains raisonnements admis jusque-là par la communauté mathématique. Un point fondamental est qu'il n'est pas si facile de définir avec précision ce qu'on entend par polyèdre (non nécessairement convexe) dans l'espace.

De fait, la formule d'Euler est aussi une formule sur les graphes planaires, i.e. les graphes dessinés dans le plan. À un tel graphe, on peut aussi associer le nombre $ s$ de ses sommets, le nombre $ a$ de ses arêtes et le nombre $ f$ de ses faces (i.e. de domaines connexes du plan délimités par ses arêtes, y compris la face extérieure non bornée). Ces nombres vérifient la relation d'Euler.

D'une manière intuitive, on peut facilement passer d'un polyèdre convexe de l'espace à un graphe planaire, par exemple en le projetant sur un plan par une projection centrale bien choisie, ou en considérant ses arêtes comme élastiques et en l'étirant sur un plan, et se ramener à établir la formule pour les graphes planaires (par exemple par récurrence sur le nombre d'arêtes ou de sommets), mais il n'est pas facile de justifier complètement toutes les étapes de cette démarche.

Figure 9: Deux exemples de polyèdres pour lesquels la formule d'Euler est fausse.
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Toutes ces considérations ont conduit à généraliser la caractéristique d'Euler (le nombre $ s-a+f$) à des objets géométriques plus généraux. C'est ainsi que H. Poincaré (1854-1912) a introduit en 1893 ce qui s'appelle aujourd'hui la caractéristique d'Euler-Poincaré qui étend la caractéristique d'Euler à des polyèdres tracés sur des surfaces.

En fait, R. Descartes (1596-1650), dans un manuscrit non publié, De Solidorum Elementis, dont l'original a disparu, mais dont on a retrouvé une copie en 1860 dans les papiers laissés à sa mort par Leibniz (1646-1716), avait énoncé une formule très proche, mais il n'est pas clair qu'il ait eu connaissance de la formule d'Euler telle qu'elle est formulée aujourd'hui.

La version de Descartes est la suivante :

«L'angle droit étant pris pour unité, la somme des angles de toutes les faces d'un polyèdre convexe est égale à quatre fois le nombre de sommets diminué de 2. »

Cette relation équivaut à la formule d'Euler si on se souvient que la somme des angles d'un polygone convexe à $ n$ sommets est $ (n-2)\pi$. En effet la formule de Descartes dit que la somme des angles de toutes les faces du polyèdre est $ 2\pi (s-2)$ ; mais si on numérote les faces de $ 1$ à $ f$ et si on note $ n_i$ le nombre de sommets (ou de côtés) de la face $ i$, cette somme vaut $ \sum\limits_{i=1}^f (n_i-2)\pi$ ou encore $ (2a-2f)\pi$ en remarquant que $ \sum\limits_{i=1}^f n_i=2a$ (chaque arête du polyèdre est comptée deux fois dans la somme, puisqu'elle apparaît dans deux faces), d'où $ 2\pi (s-2)=2\pi (a-f)$, qui est exactement la formule d'Euler.


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