Projections, symétries, affinités

Soit $ E$ un espace affine, $ F$ un sous-espace affine de $ E$ et $ \overrightarrow{G}$ un sous-espace vectoriel de $ \overrightarrow{E}$ supplémentaire de $ \overrightarrow{F}$. Il résulte de la proposition 9 que, pour tout point $ M$ de $ E$, l'intersection $ F \bigcap \Aff (M,\overrightarrow{G})$ de $ F$ et du sous-espace affine $ \Aff (M,\overrightarrow{G})$ de direction $ \overrightarrow{G}$ passant par $ M$ est constituée d'un point $ M'$ et d'un seul (ce point $ M'$ est l'unique point de $ F$ vérifiant $ \overrightarrow{MM'}\in \overrightarrow{G}$). On peut donc définir une application $ p$ de $ E$ dans lui-même par $ p(M)=M'$. Cette application est appelée projection sur $ F$ parallèlement à $ \overrightarrow{G}$ ou dans la direction $ \overrightarrow{G}$.

Figure 4: Projection et symétrie dans le plan et dans l'espace.
\includegraphics[width=0.4\textwidth]{figures/projection} \includegraphics[width=0.55\textwidth]{figures/projection3}

Soit alors $ M''$ le symétrique de $ M$ par rapport à $ M'$ : on a donc $ \overrightarrow{MM''}=2\overrightarrow{MM'}$. L'application $ s$ de $ E$ dans lui-même qui à $ M$ associe $ M''$ est appelée symétrie par rapport à $ F$ parallèlement à $ \overrightarrow{G}$ ou dans la direction $ \overrightarrow{G}$.

Plus généralement, pour tout réel $ \alpha$, on définit l'affinité de base $ F$, de direction $ \overrightarrow{G}$ et de rapport $ \alpha$ comme l'application qui au point $ M$ associe le point $ M'''$ défini par $ \overrightarrow{M'M'''}=\alpha \overrightarrow{M'M}$. La projection et la symétrie sont donc des cas particuliers d'affinités correspondant respectivement à $ \alpha=0$ et $ \alpha=-1$.

Remarques :

  1. Si $ F=E$, $ \overrightarrow{G}=\{\vec{0}\}$ ; la projection, la symétrie, et les affinités précédemment définies sont alors toutes égales à l'identité. Si au contraire $ F$ est réduit à un point, $ \overrightarrow{F}=\{\vec{0}\}$ et $ \overrightarrow{G}=\overrightarrow{E}$. Il en résulte que la projection $ p$ est l'application constante envoyant tout point de $ E$ sur $ F$, la symétrie $ s$ est l'homothétie de centre ce point et de rapport $ -1$ (on parle alors de symétrie centrale) et, plus généralement, l'affinité de rapport $ \alpha$ est l'homothétie de rapport $ \alpha$ et de centre ce point.
  2. Le sous-espace $ F$ ne suffit pas à déterminer la projection : il faut en préciser la direction. Si on remplace $ \overrightarrow{G}$ par un autre supplémentaire de $ \overrightarrow{F}$, la projection $ p$ est radicalement changée (quoique son image $ p(E)$ soit toujours égale à $ F$). Dans le cas des espaces affines euclidiens, on verra qu'il existe une direction privilégiée : celle de l'orthogonal de $ \overrightarrow{F}$ dans $ \overrightarrow{E}$ ; on omettra alors de mentionner $ \overrightarrow{G}$, et on parlera simplement de projection orthogonale. La même remarque est valable pour les symétries et les affinités.

Rappels d'algèbre linéaire : projections et symétries vectorielles.

Soit $ \overrightarrow{E}$ un espace vectoriel de dimension finie et $ \overrightarrow{E}_1$ et $ \overrightarrow{E}_2$ deux sous-espaces vectoriels supplémentaires de $ \overrightarrow{E}$. Tout vecteur $ \u$ de $ \overrightarrow{E}$ s'écrit de manière unique sous la forme $ \u=\u_1+\u_2$, avec $ \u_i\in \overrightarrow{E}_i$ ($ i=1,2$). Les deux applications $ \vec p_1$ et $ \vec p_2$ de $ \overrightarrow{E}$ dans lui-même définies par $ \vec p_i(\u)=\u_i$ ($ i=1,2$) sont linéaires et vérifient les relations :

$ \bullet$
$ \vec p_i\circ\vec p_i=\vec p_i$ ($ i=1,2$) ;
$ \bullet$
$ \vec p_1\circ\vec p_2=\vec p_2\circ\vec p_1=0$, $ \vec p_1+\vec p_2=id_{\overrightarrow{E}}$ ;
$ \bullet$
$ \mathrm{Ker}  \vec p_1=\Img \vec p_2=\overrightarrow{E}_2$, $ \mathrm{Ker}  \vec p_2=\Img \vec p_1=\overrightarrow{E}_1$.
Elles sont appelées projection sur $ \overrightarrow{E}_1$ (resp. $ \overrightarrow{E}_2$) dans la direction (ou parallèlement à) $ \overrightarrow{E}_2$ (resp. $ \overrightarrow{E}_1$).

Les deux applications $ \vec s_1$ et $ \vec s_2$ de $ \overrightarrow{E}$ dans lui-même définies par $ \vec s_1(\u)=\u_1-\u_2$, $ \vec s_2(\u)=\u_2-\u_1$ sont appelées symétrie par rapport à $ \overrightarrow{E}_1$ (resp. $ \overrightarrow{E}_2$) de direction (ou parallèlement à) $ \overrightarrow{E}_2$ (resp. $ \overrightarrow{E}_1$).
Elles sont linéaires, bijectives et vérifient les relations :

$ \bullet$
$ \vec s_i\circ\vec s_i=id_{\overrightarrow{E}}$ ($ i=1,2$) ;
$ \bullet$
$ \vec s_1=\vec p_1-\vec p_2=2\vec p_1-id_{\overrightarrow{E}}$, $ \vec s_2=\vec p_2-\vec p_1=2\vec p_2-id_{\overrightarrow{E}}$ ;
$ \bullet$
$ \vec s_1\circ\vec s_2=\vec s_2\circ\vec s_1=-id_{\overrightarrow{E}}$, $ \vec s_1+\vec s_2=0$.

Réciproquement, si $ \vec p$ est une application linéaire de $ \overrightarrow{E}$ dans lui-même vérifiant $ \vec p\circ \vec p=\vec p$, les deux sous-espaces vectoriels $ \Img \vec p$ et $ \mathrm{Ker}  \vec p$ de $ \overrightarrow{E}$ sont supplémentaires et $ \vec p$ est la projection sur $ \Img \vec p$ parallèlement à $ \mathrm{Ker}\vec p$.
De même, si $ \vec s$ est une application linéaire de $ \overrightarrow{E}$ dans lui-même vérifiant $ \vec s\circ \vec s=id_{\overrightarrow{E}}$ (on dit que $ \vec s$ est involutive), $ \vec s$ admet exactement les deux valeurs propres +1 et -1 (sauf si $ \vec s=\pm id_{\overrightarrow{E}}$, auquel cas elle n'admet qu'une valeur propre), et les noyaux des applications linéaires $ \vec s-id_{\overrightarrow{E}}$ et $ \vec s+id_{\overrightarrow{E}}$ (i.e. les sous-espaces propres de $ \vec s$ correspondant à ces deux valeurs propres) sont des sous-espaces vectoriels supplémentaires de $ \overrightarrow{E}$ ; $ \vec s$ est alors la symétrie par rapport au premier parallèlement au second.

Proposition 36   Soit $ F$ un sous-espace affine d'un espace affine $ E$ et $ \overrightarrow{G}$ un sous-espace vectoriel supplémentaire de $ \overrightarrow{F}$ dans $ \overrightarrow{E}$. La projection $ p$ sur $ F$ parallèlement à $ \overrightarrow{G}$ (resp. la symétrie $ s$ par rapport à $ F$ parallèlement à $ \overrightarrow{G}$) est une application affine, d'application linéaire associée la projection vectorielle $ \vec p$ sur $ \overrightarrow{F}$ parallèlement à $ \overrightarrow{G}$ (resp. la symétrie vectorielle $ \vec s=2\vec p -id_{\overrightarrow{E}}$ par rapport à $ \overrightarrow{F}$ parallèlement à $ \overrightarrow{G}$). Plus généralement, l'affinité $ f$ de base $ F$, de direction $ \overrightarrow{G}$ et de rapport $ \alpha$ est une application affine, d'application linéaire associée $ \vec{f}=\vec p +\alpha (id_{\overrightarrow{E}}-\vec p)$.

Démonstration : Soient $ M$ et $ N$ deux points quelconques de $ E$, $ M'$ et $ N'$ leurs projetés sur $ F$ dans la direction $ \overrightarrow{G}$, $ M''$ et $ N''$ leurs symétriques par rapport à $ F$ dans la direction $ \overrightarrow{G}$. Par la relation de Chasles, on a $ \overrightarrow{MN}=\overrightarrow{MM'}+\overrightarrow{M'N'}+\overrightarrow{N'N}$. Mais le vecteur $ \overrightarrow{M'N'}$ appartient à $ \overrightarrow{F}$ et le vecteur $ \overrightarrow{MM'}+\overrightarrow{N'N}$ appartient à $ \overrightarrow{G}$ comme somme de deux vecteurs de $ \overrightarrow{G}$. On a donc $ \overrightarrow{M'N'}=\vec p (\overrightarrow{MN})$ par définition de la projection vectorielle $ \vec p$, ce qui montre que $ p$ est affine de partie linéaire $ \vec p$.

De même l'égalité

$\displaystyle \overrightarrow{M''N''}$ $\displaystyle =\overrightarrow{M''M}+\overrightarrow{MN}+\overrightarrow{NN''}$    
  $\displaystyle =\overrightarrow{MN}-2 (\overrightarrow{MM'}+\overrightarrow{N'N})$    
  $\displaystyle =\overrightarrow{MN}-2(\overrightarrow{MN}-\vec p(\overrightarrow{MN}))$    
  $\displaystyle =(2\vec p-id_{\overrightarrow{E}})(\overrightarrow{MN})$    
  $\displaystyle =\vec s (\overrightarrow{MN})$    

montre que la symétrie $ s$ est affine de partie linéaire la symétrie vectorielle $ \vec s$.

La démonstration pour l'affinité est analogue.$ \square$

Une projection, étant affine, conserve les rapports de mesures algébriques sur une même droite. La partie directe du théorème de Thalès ne fait que traduire cette propriété :

Théorème 3 (Théorème de Thalès)  

Soient $ \Delta_A$, $ \Delta_B$, $ \Delta_C$ trois droites parallèles distinctes d'un plan affine $ P$ coupant deux droites $ D$ et $ D'$ respectivement en $ A$, $ B$, $ C$ et $ A'$, $ B'$, $ C'$. Alors

$\displaystyle \frac{\overline{AB}}{\overline{AC}} = \frac{\overline{A'B'}}{\overline{A'C'}}\; . \qquad{ (*)}$

Réciproquement, soient $ \Delta_A$, $ \Delta_B$, $ \Delta_C$ trois droites distinctes d'un plan affine $ P$ coupant deux droites $ D$ et $ D'$ respectivement en $ A$, $ B$, $ C$ et $ A'$, $ B'$, $ C'$. On suppose $ \Delta_A$ et $ \Delta_B$ parallèles, $ C$ et $ C'$ distincts et

$\displaystyle \frac{\overline{AB}}{\overline{AC}} = \frac{\overline{A'B'}}{\overline{A'C'}}\; .$

Alors $ \Delta_C$ est parallèle à $ \Delta_A$ et $ \Delta_B$.

Figure 5: Le théorème de Thalès dans le plan et dans l'espace.
\includegraphics[width=0.4\textwidth]{figures/thales2d} \includegraphics[width=0.55\textwidth]{figures/thales3d}

Démonstration : La partie directe du théorème résulte immédiatement du caractère affine de la projection $ p$ sur $ D'$ dans la direction commune des droites $ \Delta_A$, $ \Delta_B$, $ \Delta_C$ : si $ \u$ est un vecteur directeur de $ D$ et si les mesures algébriques sur $ D$ sont définies à partir de ce vecteur, les relations $ \overrightarrow{AB}=\overline {AB}\;\u$, $ \overrightarrow{AC}=\overline {AC}\;\u$ impliquent $ \overrightarrow{A'B'}=\overrightarrow{p(A)p(B)}=\vec p(\overrightarrow{AB})=\overline {AB}\;\vec p(\u)$, $ \overrightarrow{A'C'}=\overrightarrow{p(A)p(C)}=\vec p(\overrightarrow{AC})=\overline {AC}\;\vec p(\u)$. En définissant les mesures algébriques sur $ D'$ en prenant $ \vec p (\u)$ comme vecteur directeur (ce vecteur n'est pas nul, et on rappelle que les rapports de mesures algébriques sur une droite ne dépendent pas du choix du vecteur directeur), la relation $ (*)$ en résulte immédiatement.

Réciproquement, supposons la relation $ (*)$ vérifiée. La parallèle à $ \Delta_A$ menée par $ C$ coupe la droite $ D'$ en un point $ C''$ qui vérifie $ \dfrac{\overline {AB}}{\overline {AC}} = \dfrac{\overline {A'B'}}{\overline {A'C''}}$ par la partie directe du théorème. Il en résulte $ \dfrac{\overline {A'B'}}{\overline {A'C''}}=\dfrac{\overline {A'B'}}{\overline {A'C'}}$, d'où $ \overline {A'C''}=\overline {A'C'}$ et $ C'=C''$, ce qui montre que $ \Delta_C$ est parallèle à $ \Delta_A$.$ \square$

La partie directe du théorème de Thalès ne faisant que traduire le caractère affine des projections, on peut énoncer un théorème analogue en toute dimension, en particulier dans l'espace de dimension 3 :

Théorème 4   (Théorème de Thalès dans l'espace) Soient $ \Pi_A$, $ \Pi_B$, $ \Pi_C$ trois plans parallèles distincts de l'espace coupant deux droites $ D$ et $ D'$ respectivement en $ A$, $ B$, $ C$ et $ A'$, $ B'$, $ C'$. Alors

$\displaystyle \frac{\overline{AB}}{\overline{AC}} = \frac{\overline{A'B'}}{\overline{A'C'}}\; . \qquad{ (*)}$

.

Mais le théorème de Thalès dans l'espace n'admet pas de réciproque analogue à celle du théorème de Thalès dans le plan : si on suppose les plans $ \Pi_A$ et $ \Pi_B$ parallèles et la relation $ (*)$ vérifiée, on ne peut en déduire que $ \Pi_C$ est parallèle à $ \Pi_A$ et $ \Pi_B$. On a cependant :

Proposition 37   Soient $ D$ et $ D'$ deux droites de l'espace, $ A$, $ B$, $ C$ trois points de $ D$, $ A'$, $ B'$, $ C'$ trois points de $ D'$, ces six points étant supposés tous distincts. Si

$\displaystyle \frac{\overline{AB}}{\overline{AC}} = \frac{\overline{A'B'}}{\overline{A'C'}}\; ,$

alors les trois droites $ (AA')$, $ (BB')$, $ (CC')$ sont parallèles à un même plan.

Démonstration : Si les droites $ (AA')$ et $ (BB')$ sont parallèles, les droites $ D$ et $ D'$ sont coplanaires et $ (CC')$ est parallèle à $ (AA')$ et $ (BB')$ par le théorème de Thalès dans le plan.

Sinon, soient $ \Pi_A$, $ \Pi_B$, $ \Pi_C$ les plans passant respectivement par $ A$, $ B$, $ C$ de direction le plan vectoriel engendré par les vecteurs $ \overrightarrow{AA'}$ et $ \overrightarrow{BB'}$. Ces trois plans sont parallèles et la droite $ (AA')$ (resp. $ (BB')$) est incluse dans $ \Pi_A$ (resp. $ \Pi_B$) de sorte que $ \Pi_A$ (resp. $ \Pi_B$) coupe $ D'$ en $ A'$ (resp. $ B'$). Le plan $ \Pi_C$ coupe $ D'$ en un point $ C''$ qui vérifie $ \dfrac{\overline {AB}}{\overline {AC}} = \dfrac{\overline {A'B'}}{\overline {A'C''}}$ d'après le théorème direct. Il en résulte $ \overline {A'C''}=\overline {A'C'}$, d'où $ C''=C'$. La droite $ (CC')$ est donc incluse dans $ \Pi_C$.$ \square$


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