Polynômes d'approximation de Legendre

Nous avons introduit ce chapitre en vous présentant les polynômes de Taylor comme un moyen d'approcher une fonction au voisinage d'un point. Ce n'est pas le seul, et, selon le critère de qualité que l'on choisira d'adopter, ce n'est pas forcément le plus efficace. Il existe une théorie des polynômes d'approximation, que vous apprendrez peut-être plus tard. Nous allons ici nous contenter de vous donner une idée, en vous présentant brièvement les polynômes de Legendre.

Il convient tout d'abord de définir ce que l'on entend par « critère d'approximation». Considérons une fonction $ f$, supposée continue sur un intervalle $ [a,b]$. Si l'on désire l'approcher par un polynôme $ P_n$, le plus intuitif est sans doute de considérer l'erreur d'approximation maximale sur tout l'intervalle. On la note (pour des raisons que vous apprendrez plus tard) $ \Vert f-P_n\Vert _\infty$.

$\displaystyle \Vert f-P_n\Vert _\infty = \sup\{  \vert f(x)-P_n(x)\vert ,\; x\in[a,b] \}\;.
$

Vous vous souvenez sans doute qu'une fonction continue sur un intervalle fermé borné atteint son maximum, et donc le réel $ \Vert f-P_n\Vert _\infty$ est bien défini. Il se trouve que l'erreur maximale est moins facile à manipuler que l'erreur quadratique $ \Vert f-P_n\Vert _2$.

$\displaystyle \Vert f-P_n\Vert _2 = \left(\int_a^b(f(x)-P_n(x))^2 \mathrm{d}x\right)^{1/2}\;.
$

Pour tout $ n\in\mathbb{N}$, on sait déterminer le polynôme de degré inférieur ou égal à $ n$ tel que cette nouvelle erreur d'approximation soit minimale. Pour énoncer le résultat, nous nous ramenerons, sans perte de généralité, au cas $ a=-1$, $ b=1$ : il suffit pour cela de remplacer la variable $ x$ par $ t=2(x-a)/(b-a)-1$.

Sur $ [-1,1]$, les polynômes de meilleure approximation s'expriment sur la base des polynômes de Legendre. On peut définir le polynôme de Legendre (normalisé) de degré $ n$ par la formule suivante.

$\displaystyle L_n(x)=\sqrt{\frac{2n+1}{2}}\frac{1}{2^n(n!)}\Big((x^2-1)^n\Big)^{(n)}\;.
$

Théorème 7   Soit $ f$ une fonction continue de $ [-1,1]$ dans $ \mathbb{R}$. Pour tout $ n\in\mathbb{N}$, notons :

$\displaystyle c_n = \int_{-1}^1 f(t)L_n(t)
$

Soit $ P_n(f)$ le polynôme :

$\displaystyle P_n(f) = \sum_{k=0}^n c_k L_n\;.
$

Alors :

$\displaystyle \Vert f-P_n(f)\Vert _2 = \inf\{  \Vert f-Q\Vert _2 ,\;Q\in\mathbb{R}_n[X] \}\;.
$

Le polynôme $ P_n(f)$ est donc le meilleur approximant de $ f$ de degré inférieur ou égal à $ n$, au sens de l'erreur quadratique. Il se trouve qu'en pratique, il est en général meilleur que le polynôme de Taylor de même degré, au sens de l'erreur maximale.

Voici une expérience. Prenons pour $ f$ la fonction exponentielle, sur l'intervalle $ [-1,1]$. Pour $ n$ allant de $ 5$ à $ 10$, nous avons calculé l'erreur maximale $ \Vert f-P_n\Vert _\infty$, en prenant pour $ P_n$ le polynôme de Taylor de degré $ n$ en 0, puis le polynôme d'approximation de Legendre de même degré. Les résultats sont donnés dans le tableau ci-dessous : Legendre l'emporte haut la main !

$ n$ $ 5$ $ 6$ $ 7$ $ 8$ $ 9$ $ 10$
Taylor $ 1.6 10^{-3}$ $ 1.3 10^{-4}$ $ 2.8 10^{-5}$ $ 3.1 10^{-6}$ $ 3.0 10^{-7}$ $ 2.7 10^{-8}$
Legendre $ 1.1 10^{-4}$ $ 8.2 10^{-6}$ $ 5.4 10^{-7}$ $ 3.1 10^{-8}$ $ 1.6 10^{-9}$ $ 7.8 10^{-11}$
Voici l'introduction du discours que Siméon Denis Poisson (1781-1840) prononça aux funérailles d'Adrien-Marie Legendre (1752-1833).
Lorsque nous perdons un de nos confrères les plus avancés en âge, nos regrets sont adoucis par la pensée qu'il a moins souffert à ses derniers moments, et qu'affaibli par les années, il s'est éteint sans douleur. Cette consolation nous manque aujourd'hui : la maladie qui a terminé les jours de M. Legendre dans sa 81e année, a été longue et douloureuse ; mais il en a supporté les souffrances avec courage et sans se faire illusion sur leur fatale issue ; avec une résignation que devaient lui rendre bien difficile, le bonheur qu'il trouvait dans son intérieur, et les soins et les v\oeux dont il était entouré.

Notre confrère a souvent exprimé le désir qu'en parlant de lui, il ne fût question que de ses travaux, qui sont, en effet, toute sa vie. Je me conformerai religieusement à sa volonté, dans cet hommage que je viens rendre, au nom de l'Académie des Sciences et du Bureau des Longitudes, au géomètre illustre, au doyen de la science, dont le monde savant va pleurer la perte.
Nous aussi, nous respecterons sa volonté : pour une fois, vous serez privés de ces ragots dont nous vous savons friands.

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