Interprétation géométrique

Vous savez sans doute déjà qu'en géométrie plane, l'aire d'un parallélogramme est au signe près le déterminant des deux vecteurs qui l'engendrent. C'est vrai en dimension quelconque.

Définition 10   Soit $ E$ un espace vectoriel de dimension $ n$. Soit $ (v_1,\ldots,v_n)$ un $ n$-uplet de vecteurs de $ E$. On appelle parallélépipède engendré par $ (v_1,\ldots,v_n)$ l'ensemble :

$\displaystyle P(v_1,\ldots,v_n) = \{  \lambda_1v_1+\cdots+\lambda_n v_n ,\;
(\lambda_1,\ldots,\lambda_n)\in [0,1]^n \}\;.
$

En dimension $ 2$, c'est un parallélogramme, en dimension $ 3$ un parallélépipède ordinaire (figure 2).
Figure 2: Parallélépipèdes en dimension 2 et 3.
\includegraphics[width=6cm]{determinant2} \includegraphics[width=6cm]{determinant3}

Pour définir une mesure, il faut un étalon qui en donne l'unité. Dans $ \mathbb{R}^n$, on convient que le volume du parallélépipède engendré par les vecteurs de la base canonique est $ 1$. Dans un espace vectoriel $ E$, on peut choisir une base $ {\cal B}$ quelconque, et décider que le volume du parallélépipède qu'elle engendre vaut $ 1$.

Une fois fixé l'étalon, comment calculer le volume des autres parallélépipèdes, c'est-à-dire définir une application $ VP$ qui à un $ n$-uplet $ (v_1,\ldots,v_n)$ associe le volume du parallélépipède $ P(v_1,\ldots,v_n)$ ?

\begin{displaymath}
\begin{array}{rcl}
&VP&\\
E^n&\longrightarrow&\mathbb{R}\\
(v_1,\ldots,v_n)&\longmapsto&VP(v_1,\ldots,v_n)
\end{array}\end{displaymath}

Voici trois propriétés «physiquement raisonnables».
(P1)
Si on remplace un vecteur par la somme de deux autres, le volume est la somme des deux volumes.

$\displaystyle VP(v_1,\ldots,v+v',\ldots,v_n)=
VP(v_1,\ldots,v,\ldots,v_n)
+VP(v_1,\ldots,v',\ldots,v_n)\;.
$

(P2)
Si on multiplie un des vecteurs par un réel, le volume doit être multiplié par ce même réel.

$\displaystyle VP(v_1,\ldots,\lambda v,\ldots,v_n)=
\lambda VP(v_1,\ldots,v,\ldots,v_n)
$

(P3)
Si deux des vecteurs sont identiques, alors le volume est nul.

$\displaystyle VP(v_1,\ldots,v,\ldots,v,\ldots,v_n)=0\;.
$

La propriété (P1) est facile à admettre. Pensez à deux boîtes posées l'une sur l'autre : elles ont une face en commun et la pile forme un nouveau parallélépipède, dont le volume est bien la somme des volumes des deux boîtes. Attention, si vous l'admettez pour $ v+v'$, vous devez l'admettre aussi pour $ v-v'$ ; et si on peut soustraire deux volumes, alors un volume peut être négatif. Effectivement, le volume ici est muni d'un signe. La valeur absolue est la mesure au sens ordinaire, le signe traduit l'orientation du $ n$-uplet de vecteurs. La propriété (P2) est elle aussi assez naturelle : si vous étirez un parallélépipède dans une direction, vous multipliez son volume. Mais surtout, elle est (presque) une conséquence de (P1) : en effet, pour tout $ \lambda$ entier, puis rationnel, (P2) se déduit de (P1). Il suffit alors de faire l'hypothèse que les applications partielles sont continues au voisinage de 0 pour en déduire la propriété pour tout $ \lambda$ réel. La propriété (P3) est aussi très naturelle : si deux des vecteurs qui engendrent le parallélépipède sont identiques, celui-ci est «aplati», c'est-à-dire qu'il est inclus dans un hyperplan. Étant inclus dans un sous-espace de dimension inférieure, son volume $ n$-dimensionnel est nul.

Maintenant, relisez la section 1.2, en particulier la définition 6 et la proposition 3. L'application $ VP$, si elle vérifie les propriétés (P1), (P2) et (P3), est une forme multilinéaire alternée. Si de plus $ VP({\cal B})=1$, alors $ VP$ est le déterminant dans la base $ {\cal B}$. Si $ (v_1,\ldots,v_n)$ est tel que det$ _{\cal
B}(v_1,\ldots,v_n)$ est non nul, alors $ (v_1,\ldots,v_n)$ est une base de $ E$. La valeur absolue du déterminant est le volume du parallélépipède engendré, au sens ordinaire. Son signe est positif si la nouvelle base a la même orientation que l'ancienne, négatif dans le cas contraire.


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