L'école japonaise

Les Neuf Chapitres de l'art du Calcul ont joué pour les mathématiques en extrême-orient, le rôle des éléments d'Euclide pour les mathématiques occidentales. Ce livre de problèmes écrit en Chine dans les premiers siècles de notre ère, contient en particulier des problèmes d'équations et la résolution des systèmes linéaires. Ainsi, des siècles plus tard, les systèmes d'équations étaient toujours pour les mathématiciens japonais une source d'inspiration. Il n'est donc pas surprenant qu'eux-aussi aient, comme les mathématiciens européens, dégagé la notion de déterminant des méthodes de résolution d'équations. Plus surprenant est le fait que les deux découvertes ont été quasiment simultanées. Le premier déterminant a été écrit au Japon par Seki Takakazu (ou Seki Kowa) (1642-1708)23. L'ouvrage dans lequel la notion apparaît est daté de 1683, mais il est probable que son auteur travaillait sur les problèmes d'élimination depuis plusieurs années. Ce que d'autres ne manquaient pas de lui reprocher.
Il existe aujourd'hui dans notre pays, des mathématiciens qui connaissent «l'égalisation» mais qui, par goût du secret ou par réelle ignorance, nul ne sait, ne la révèlent pas. Si bien que nous ne la trouvons dans aucun livre. Celle-ci va être divulguée par l'école de Nakanishi pour apaiser les esprits. Désormais les trésors de la résolution des problèmes de mathématiques se trouveront réunis dans le seul Recueil d'égalisations.
Un des élèves de Takakazu se charge de riposter.
Ces temps derniers, des mathématiciens de la capitale et de la province se sont mis, soit par ignorance de la subtilité des procédures de Seki, soit parce qu'ils suspectent ce dernier de camoufler son ignorance des procédures, à le mettre à l'essai en lui soumettant des problèmes de même nature [que ceux de Sawagushi] ou à l'accuser de s'être trompé dans les procédures, dévoilant ainsi leur propre incompétence.
Mais la meilleure manière de répondre est encore de publier.
Déplorant que, parmi le très grand nombre d'ouvrages chinois et japonais consacrés aux mathématiques, il n'y en ait aucun qui ait pénétré le sens profond du shakusa, les trois samourai [Seki et les deux frères Takebe] tinrent conseil, puis, à partir de l'été de la troisième année de Tenna [1683], se mirent à rédiger sous la conduite de Katahiro l'essentiel des nouveaux résultats que chacun avait obtenus, firent le point sur les méthodes léguées, anciennes et récentes ; le tout fut rassemblé au milieu des années Genroku [1688-1703]. Il y avait au total douze livres, auxquels le nom de Sanpô taisei [traité accompli de mathématiques] fut donné et que [Katahiro] commença à mettre au propre.
Seki Takakazu a été la figure de proue des mathématiques japonaises de l'époque Edo, et ses connaissances attiraient de nombreux disciples.
Jeune homme (à l'âge de seize ans), il [Kataaki] se tourna avec son frère cadet Katahiro vers les mathématiques. Ils avaient abordé cet art avec une grande détermination et s'étaient plongés dans les ouvrages chinois et japonais ; et, bien qu'ils en eussent éclairci le contenu, ils ne parvenaient pas à saisir le principe (ri) des résolutions de problèmes (kainan). Ils entendirent à cette époque que les mathématiques de Seki Shinzuke Takakazu (vassal du seigneur de Kôfu, Tsunashige) dépassaient de loin ce qui se faisait dans le monde. Les deux frères le choisirent comme maître et étudièrent auprès de lui ; ils s'intéressèrent également à la science calendérique et à l'astronomie, y travaillèrent jour et nuit en oubliant le boire et le manger, et \oeuvrèrent patiemment pour explorer la Voie qui gouverne les principes des procédures.
Mais ce n'était pas la seule école de mathématiques au Japon. Et si la quasi-coïncidence de la découverte du déterminant par Takakazu et Leibniz est étonnante, le parallèle entre les controverses de savants en Europe et au Japon ne l'est pas moins.

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