Construction des entiers relatifs

L'ensemble $ \mathbb{N}$ des entiers naturels a été défini de manière axiomatique et deux lois de composition interne ont été définies sur cet ensemble : l'addition et la multiplication. Certaines équations liées à ces deux lois comme

$\displaystyle a=b+x\quad{\rm ou}\quad a=b\times x, b\neq 0\;,$

n'admettent pas toujours une solution. Il serait intéressant de construire un ensemble de nombres contenant $ \mathbb{N}$ dans lequel ces équations simples auraient toujours une solution.

Étant donné un couple $ (a,b)\in\mathbb{N}\times\mathbb{N}$, on s'intéresse d'abord à l'équation

$\displaystyle a=b+x.$ (5)

Par définition de la relation d'ordre sur $ \mathbb{N}$, cette équation possède une solution dans $ \mathbb{N}$ si et seulement si $ b\leqslant a$. On cherche à construire un nouvel ensemble de nombres $ \mathbb{Z}$ contenant $ \mathbb{N}$, muni d'une loi de composition interne associative et commutative, notée $ +$, dont la restriction à $ \mathbb{N}$ coïncide avec l'addition de $ \mathbb{N}$ et dans lequel l'équation (5) possède toujours une unique solution. Dans le cas particulier où $ a=0$, $ x$ sera un inverse de $ b$ pour $ +$ et $ (\mathbb{Z}, +)$ sera un groupe abélien.

L'idée est d'identifier la solution $ x$ de (5) au couple $ (a,b)$, mais malheureusement deux couples $ (a,b)$ et $ (a',b')$, vérifiant $ a\leqslant b$ et $ a'\leqslant b'$, peuvent définir le même entier $ x$. Cherchons à quelle condition les deux couples $ (a,b)$ et $ (a',b')$ définissent le même entier $ x$. Si $ x\in\mathbb{N}$ satisfait à la fois

$\displaystyle a=b+x\quad{\rm et}\quad a'=b'+x,$    

alors $ a+b'+x=a'+b+x$ et par régularité de l'addition, on doit avoir $ a+b'=a'+b$.

Proposition 11   La relation $ \mathcal{R}$ définie sur $ \mathbb{N}\times\mathbb{N}$ par

$\displaystyle (a,b)\mathcal{R} (a',b')\Leftrightarrow a+b'=a'+b$ (6)

est une relation d'équivalence compatible avec l'addition sur $ \mathbb{N}\times\mathbb{N}$.

Démonstration : La relation $ \mathcal{R}$ est clairement réflexive et symétrique. Montrons qu'elle est transitive. Soient $ (a,b)$, $ (a',b')$ et $ (a'',b'')$ trois couples d'entiers tels que $ (a,b)\mathcal{R} (a',b')$ et $ (a',b')\mathcal{R}
(a'',b'')$, ils vérifient donc

$\displaystyle a+b'=a'+b \quad{\rm et}\quad a'+b''=a''+b'.$

En ajoutant membre à membre ces deux égalités on obtient

$\displaystyle a+b''+a'+b'=a''+b+a'+b'$

grâce à l'associativité et à la commutativité de l'addition dans $ \mathbb{N}$, soit $ a+b''=a''+b$ par régularité de l'addition. La relation $ \mathcal{R}$ est donc une relation d'équivalence sur $ \mathbb{N}\times\mathbb{N}$.

Montrons qu'elle est compatible avec l'addition. Soient $ (a,b)$, $ (a',b')$ deux couples d'entiers tels que $ (a,b)\mathcal{R} (a',b')$ et $ (c,d)$, $ (c',d')$ deux autres couples d'entiers tels que $ (c,d)\mathcal{R}
(c',d')$, alors $ a+b'=a'+b$ et $ c+d'=c'+d$ et en ajoutant membre à membre

$\displaystyle (a+c)+(b'+d')=(a'+c')+(b+d),$

ce qui signifie que $ (a+c,b+d)\mathcal{R}(a'+c',b'+d')$.$ \square$

On notera $ \overline{(a,b)}$ la classe du couple $ (a,b)$ pour la relation $ \mathcal{R}$.

Définition 5   On appelle ensemble des entiers relatifs l'ensemble quotient $ \mathbb{N}\times\mathbb{N}/\mathcal{R}$ et on le note $ \mathbb{Z}$.

Proposition 12   L'ensemble $ \mathbb{Z}$ muni de la loi quotient déduite de l'addition sur $ \mathbb{N}\times\mathbb{N}$, notée encore $ +$, est un groupe abélien.

Démonstration : La relation $ \mathcal{R}$ étant compatible avec l'addition sur $ \mathbb{N}\times\mathbb{N}$, on définit une loi de composition interne sur $ \mathbb{Z}$ en posant

$\displaystyle \overline{(a,b)}+\overline{(c,d)}=\overline{(a+c,b+d)}.$

Cette loi conserve les propriétés d'associativité et de commutativité de l'addition sur $ \mathbb{N}\times\mathbb{N}$. Vérifions que $ e=\overline{(0,0)}$ est un élément neutre pour cette loi. En effet si $ x=\overline{(a,b)}\in\mathbb{Z}$, $ x+e=e+x$ par commutativité et

$\displaystyle x+e=\overline{(a,b)}+\overline{(0,0)}=\overline{(a+0,b+0)}=\overline{(a,b)}=x.$

On peut remarquer que $ (a,b)\in\overline{(0,0)}$ si et seulement si $ a=b$. En effet $ (a,b)\mathcal{R}(0,0)$ si et seulement si $ a+0=0+b$, i.e. $ a=b$.

Pour obtenir une structure de groupe abélien, il reste à prouver que tout élément $ x$ de $ \mathbb{Z}$ possède un inverse pour cette loi. Si $ x=\overline{(a,b)}$, posons $ \widetilde{x}=\overline{(b,a)}$, alors $ x+\widetilde{x}=\widetilde{x}+x$ par commutativité et

$\displaystyle x+\widetilde{x}=\overline{(a,b)}+\overline{(b,a)}=\overline{(a+b,b+a)}=\overline{(a+b,a+b)}=\overline{(0,0)}=e.$

$ \square$

Proposition 13   On définit un morphisme injectif $ f : \mathbb{N}\to\mathbb{Z}$ en posant $ f(a)=\overline{(a,0)}$

Démonstration : Vérifions que l'application $ f : \mathbb{N}\to\mathbb{Z}$ définie par $ f(a)=\overline{(a,0)}$ est additive. Soient $ a$ et $ b$ dans $ \mathbb{N}$, alors

$\displaystyle f(a+b)=\overline{(a+b,0)}=\overline{(a,0)}+\overline{(b,0)}=f(a)+f(b)$

par définition de l'addition dans $ \mathbb{Z}$. Montrons maintenant que $ f$ est injective. Soient $ a$ et $ b$ dans $ \mathbb{N}$ tels que $ f(a)=f(b)$, c'est-à-dire $ \overline{(a,0)}=\overline{(b,0)}$. Par définition de la relation $ \mathcal{R}$ cela signifie que $ a+0=b+0$, soit $ a=b$, d'où l'injectivité de l'application $ f$. $ \square$

Pour simplifier les écritures on utilise les conventions de notations suivantes :

(i) Si $ a\in\mathbb{N}$, on note encore $ a$ l'élément $ \overline{(a,0)}$ de $ \mathbb{Z}$, identifiant ainsi $ \mathbb{N}$ et son image par $ f$ dans $ \mathbb{Z}$.

(ii) Si $ a\in\mathbb{N}$, on note $ -a$ l'élément $ \overline{(0,a)}$ de $ \mathbb{Z}$, c'est-à-dire l'inverse de $ a$ pour l'addition dans $ \mathbb{Z}$.

(iii) Si $ a\in\mathbb{N}$ et $ b\in\mathbb{N}$, on écrira $ a-b$ pour $ a+(-b)$.

Remarquons également que tout élément $ \overline{(a,b)}$ possède un représentant de la forme $ (x,0)$ ou $ (0,x)$. En effet $ (x,0)\in\overline{(a,b)}$ si et seulement si $ a=b+x$ dans $ \mathbb{N}$, ce qui équivaut à $ b\leqslant a$ par définition de la relation d'ordre sur $ \mathbb{N}$, de même $ (0,x)\in\overline{(a,b)}$ si et seulement si $ a+x=b$ ce qui équivaut à $ a\leqslant b$. La relation d'ordre sur $ \mathbb{N}$ étant une relation d'ordre total, si $ a\in\mathbb{N}$ et $ b\in\mathbb{N}$ alors soit $ a\leqslant b$, soit $ b\leqslant a$ et d'après ce qui précède dans le premier cas il existe $ x\in\mathbb{N}$ tel que $ a+x=b$ et alors $ (x,0)\in\overline{(a,b)}$ et dans le deuxième cas il existe $ x\in\mathbb{N}$ tel que $ b+x=a$ et alors $ (0,x)\in\overline{(a,b)}$.

On en déduit que $ \mathbb{Z}=\mathbb{N}\cup(-\mathbb{N})$, où $ -\mathbb{N}=\{y\in\mathbb{Z} \vert y=-x, x\in\mathbb{N}\}$. De plus $ \mathbb{N}\cap(-\mathbb{N})=\{0\}$ car si $ u=\overline{(a,b)}\in\mathbb{Z}$ vérifie $ u\in\mathbb{N}$ et $ -u\in\mathbb{N}$, alors $ \overline{(a,b)}=\overline{(b,a)}$ soit $ a+a=b+b$ et donc $ a=b$ et $ u=0$.

On dit que deux éléments $ x$ et $ y$ de $ \mathbb{Z}$ sont de même signe si $ x$ et $ y$ sont tous deux dans $ \mathbb{N}$ ou dans $ -\mathbb{N}$ et de signes contraires si parmi $ x$ et $ y$ l'un est dans $ \mathbb{N}$ et l'autre dans $ -\mathbb{N}$.


Nous venons de voir que $ \mathbb{Z}$ contient strictement $ \mathbb{N}$ et même que l'ensemble $ \mathbb{Z}\setminus \mathbb{N}$ est infini, mais néanmoins il existe une bijection de $ \mathbb{N}$ sur $ \mathbb{Z}$ : $ \mathbb{Z}$ est dénombrable.

Proposition 14   L'ensemble $ \mathbb{Z}$ est dénombrable.

Démonstration : L'application $ f:\mathbb{N}\to\mathbb{Z}$ de $ \mathbb{N}$ dans $ \mathbb{Z}$ définie par $ f(2n)=n$ et $ f(2n+1)=-(n+1)$ est clairement bijective. $ \square$

Revenons à l'équation (5) du début de ce paragraphe. Soient $ a$ et $ b$ dans $ \mathbb{N}$, alors avec les notations ci-dessus si $ x$ satisfait $ a=b+x$ dans $ \mathbb{Z}$, cela signifie $ \overline{(a,0)}=\overline{(b,0)}+x$, soit $ x=\overline{(0,b)}+\overline{(a,0)}=\overline{(a,b)}$. L'équation (5) possède donc toujours une solution dans $ \mathbb{Z}$ et $ x\in\mathbb{N}$ si et seulement si $ b\leqslant a$. Plus généralement si $ a$ et $ b$ sont dans $ \mathbb{Z}$, $ a=b+x$ équivaut à $ x=b-a$ puisque $ (\mathbb{Z}, +)$ est un groupe et l'équation $ a=b+x$ possède toujours une unique solution.


Relation d'ordre dans $ \mathbb{Z}$

Rappelons que si $ (a,b)\in\mathbb{N}\times\mathbb{N}$, on a $ a\leqslant b$, s'il existe $ c\in\mathbb{N}$ tel que $ b=a+c$, c'est-à-dire $ b-a\in\mathbb{N}$. Nous pouvons alors prolonger de manière naturelle à $ \mathbb{Z}$ la relation d'ordre sur $ \mathbb{N}$ en posant $ x\leqslant y$ si et seulement si $ y-x\in\mathbb{N}$. Vérifions qu'il s'agit bien d'une relation d'ordre. Elle est réflexive car $ x\leqslant x$ puisque $ x-x=0\in\mathbb{N}$. Elle est antisymétrique, puisque $ x-y=-(y-x)$ et $ \mathbb{N}\cap(-\mathbb{N})=\{0\}$ impliquent $ x=y$ si $ x-y$ et $ y-x$ sont tous deux dans $ \mathbb{N}$. Soient $ x,y,z\in\mathbb{Z}$ tels que $ x\leqslant y$ et $ y\leqslant z$, c'est-à-dire $ y-x\in\mathbb{N}$ et $ z-y\in\mathbb{N}$, alors $ (y-x)+(z-y)=z-x\in\mathbb{N}$ et donc $ x\leqslant z$, ce qui prouve la transitivité de $ \leqslant$.

Remarquons que les éléments de $ \mathbb{N}$ sont exactement les $ x\in\mathbb{Z}$ tels que $ 0\leqslant x$, on les appelle les entiers positifs et que les éléments de $ -\mathbb{N}$ sont exactement les $ x\in\mathbb{Z}$ tels que $ x\leqslant
0$, ils sont dits négatifs.


Multiplication dans $ \mathbb{Z}$

Pour terminer nous allons définir dans $ \mathbb{Z}$ une deuxième loi de composition interne qui prolongera la multiplication sur $ \mathbb{N}$ et telle que $ (\mathbb{Z},+,\times)$ possède une structure d'anneau intègre.

Soient $ x=\overline{(a,b)}$ et $ y=\overline{(c,d)}$ deux éléments de $ \mathbb{Z}$, on pose

$\displaystyle x\times y=\overline{(a,b)}\times\overline{(c,d)}=\overline{(ac+bd,bc+ad)}.$

Vérifions que cette définition a bien un sens en remarquant qu'elle est indépendante des représentants choisis. Nous devons prouver que si $ (a,b)\mathcal{R} (a',b')$ et $ (c,d)\mathcal{R}
(c',d')$ alors $ (ac+bd,bc+ad)\mathcal{R}(a'c'+b'd',b'c'+a'd')$. Supposons que $ a+b'=a'+b$ et $ c+d'=c'+d$, alors

$\displaystyle (ac+bd)+(b'c'+a'd')+bc'$ $\displaystyle =ac+b(d+c')+(b'c'+a'd')$    
  $\displaystyle =ac+b(c+d')+(b'c'+a'd')$    
  $\displaystyle =ac+bc+(b+a')d'+b'c'$    
  $\displaystyle =ac+bc+(a+b')d'+b'c'$    
  $\displaystyle =a(c+d')+bc+b'd'+b'c'$    
  $\displaystyle =a(c'+d)+bc+b'd'+b'c'$    
  $\displaystyle =ad+bc+(a+b')c'+b'd'$    
  $\displaystyle =ad+bc+(a'+b)c'+b'd'$    
  $\displaystyle =(ad+bc)+(a'c'+b'd')+bc'$    

d'où $ (ac+bd)+(b'c'+a'd')=(a'c'+b'd')+(ad+bc)$ et donc $ (ac+bd,bc+ad)\mathcal{R}(a'c'+b'd',b'c'+a'd')$.


Par un calcul direct, il résulte immédiatement des propriétés de l'addition et de la multiplication dans $ \mathbb{N}$ que la loi $ \times$ est associative, commutative et distributive par rapport à l'addition. L'élément $ 1=\overline{(1,0)}$ est un élément neutre pour $ \times$ puisque $ 1\times\overline{(a,b)}=\overline{(1a+0b,0a+1b)}=\overline{(a,b)}$. $ (\mathbb{Z},+,\times)$ est donc un anneau. Vérifions qu'il est intègre. Soient $ x$ et $ y$ deux éléments de $ \mathbb{Z}$ tels que $ xy=0$. Pour simplifier les calculs choisissons pour $ x$ un représentant de la forme $ (u,0)$ ou $ (0,u)$ et pour $ y$ un représentant de la forme $ (v,0)$ ou $ (0,v)$, alors suivant les cas $ xy=0$ implique

$\displaystyle (uv,0)\mathcal{R} (0,0)\quad{\rm ou}\quad
(0,uv)\mathcal{R} (0,0),$

d'où $ uv=0$ et donc $ u=0$ ou $ v=0$ par les propriétés de la multiplication dans $ \mathbb{N}$.

Notons également que tout élément de $ \mathbb{Z}$ distinct de 0 est régulier pour $ \times$. Soient $ x$, $ y$ et $ z\neq 0$ dans $ \mathbb{Z}$ tels que $ xz=yz$. Comme précédemment choisissons pour $ x$ un représentant de la forme $ (u,0)$ ou $ (0,u)$, pour $ y$ un représentant de la forme $ (v,0)$ ou $ (0,v)$ et pour $ z$ un représentant de la forme $ (w,0)$ ou $ (0,w)$ avec $ w\neq 0$, alors $ xz=\overline{(uw,0)}$ ou $ \overline{(0,uw)}$ et $ yz=\overline{(vw,0)}$ ou $ \overline{(0,vw)}$. L'égalité $ xz=yz$ implique donc soit $ uw=vw$ si $ x$ et $ y$ sont de même signe, soit $ uw+vw=0$ si $ x$ et $ y$ sont de signes contraires et puisque $ w\neq 0$, on obtient $ u=v$ dans le premier cas et $ u=v=0$ dans le second cas, et donc $ x=y$.


Si $ x$ et $ y$ sont dans $ \mathbb{N}$, on identifie $ x$ avec $ \overline{(x,0)}$ et $ y$ avec $ \overline{(y,0)}$, alors

$\displaystyle x\times y=\overline{(xy,0)}=xy\;,$

après identification. La loi $ \times$ prolonge donc la multiplication sur $ \mathbb{N}$. Par ailleurs, notons que

$\displaystyle x\times(-y)=\overline{(x,0)}\times\overline{(0,y)}=\overline{(0,xy)}=-(xy),$

de même $ (-x)\times y=-(xy)$ et

$\displaystyle (-x)\times(-y)=\overline{(0,x)}\times\overline{(0,y)}=\overline{(xy,0)}=xy.$

Nous retrouvons ainsi la règle usuelle des signes : le produit de deux entiers positifs ou de deux entiers négatifs est toujours un entier positif et le produit d'un entier positif et d'un entier négatif est toujours un entier négatif. Cette règle s'exprime également de la manière suivante : le produit de deux entiers de même signe est toujours un entier positif et le produit de deux entiers de signes contraires est toujours un entier négatif.

Remarquons également que $ -x=(-1)\times x=x\times (-1)$.


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