Le Théorème de Fermat-Wiles

Il faudra encore 350 ans après l'énoncé de Fermat pour que l'on démontre vraiment que $ x^n+y^n=z^n$ n'a pas de solution entière pour $ n>2$. Courbes elliptiques, fonctions modulaires, groupes de Galois absolus, la construction mathématique qui a abouti au succès d'Andrew Wiles s'appuie sur des notions qui vont très au-delà des mathématiques du temps de Fermat, et qui ont pour l'essentiel été élaborées au XXe siècle. Wiles s'est appuyé sur de nombreux travaux de ses prédécesseurs, prolongés en une construction impressionnante qu'il a bâtie secrètement pendant 7 ans, avant de l'annoncer en juin 1993. Une «petite» erreur dans cet immense édifice lui a encore coûté un an d'efforts avant que sa démontration soit vraiment complète. Au bilan, le théorème qui porte désormais le nom de Fermat-Wiles n'est plus qu'un petit cas particulier de la théorie qu'il a suscitée.

Avant Wiles, de nombreux mathématiciens ont cru de bonne foi avoir réussi, avant que l'on ne découvre une faille dans leur démonstration : parmi les plus célèbres, Lamé, Cauchy, Lindemann, Kummer...  Il est impossible de citer tous les mathématiciens qui ont apporté leur contribution avant Wiles, et encore moins tous ceux qui ont tenté de le faire. Il faut dire que ce résultat était devenu plus que toute autre conjecture, le Saint-Graal des mathématiques. C'est en partie dû au fait que son énoncé soit si simple ; Wiles lui-même raconte que vers l'âge de 10 ans il avait été frappé par le fait qu'il soit capable de le comprendre bien que personne ne l'aie encore démontré.

C'est aussi dû aux nombreux prix dont le résultat a fait l'objet. Un des plus célèbres est le prix Wolfskhel7. Héritier d'une famille de banquiers, Paul Wolfskhel avait une formation de médecin mais, atteint de sclérose, il avait compris très vite qu'il ne pourrait pas exercer. Il s'était alors tourné vers les mathématiques, et avait étudié auprès de Kummer, grand spécialiste du Théorème de Fermat. À son décès en 1906, il laissait par testament un prix de 100 000 Deutsche Marks (de l'ordre d'un million et demi d'euros d'aujourd'hui). Du fait des dévaluations successives, ce ne sont que 75 000 DM (environ 38 000 euros) que Wiles a reçu en 1997. Ne croyez pas les histoires qui circulent sur le fait que Wolfskhel aurait été sauvé par l'arithmétique d'une tentative de suicide suite à un chagrin d'amour, ni qu'il aurait voulu écarter de sa succession une épouse acariâtre et avide ; rien n'est avéré, à part le fait que les mathématiques ont adouci une vie par ailleurs bien difficile. Ce qui est certain en revanche, c'est qu'à compter de 1908, l'Institut de Mathématiques de Göttingen a eu la charge d'examiner chacun des manuscrits sur le Théorème de Fermat qui lui parvenaient, de détecter l'erreur, d'écrire à l'auteur pour la lui signaler, de recevoir ses protestations parfois véhémentes etc. L'année suivant l'annonce du prix, 621 manuscrits sont parvenus à Göttingen. En tout des milliers de textes, provenant de tous les pays, auront été écrits sur le Théorème de Fermat ; et ce n'est sans doute pas fini : certains sont toujours en quête de la fameuse «démonstration merveilleuse». Au vu de l'énorme édifice que représente la démonstration de Wiles, et n'en déplaise à Boris Vian, il est difficile de croire qu'un bricoleur puisse faire en amateur des bombes atomiques.

Mais que cela ne vous empêche pas de réfléchir : il reste de nombreuses conjectures non démontrées en arithmétique. La plus ancienne et l'une des plus simples est la conjecture de Goldbach (1742) : tout entier pair strictement supérieur à 2 est somme de deux nombres premiers. Cela a été vérifié par ordinateur jusqu'au-delà de $ 10^{18}$, mais pas encore démontré. À moins qu'au fin fond de l'Amazonie, un perroquet bavard...8


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