Ils sont amicaux, parfaits...  voire excessifs

Si $ n$ est un entier, ses diviseurs autres que lui-même sont dits propres : $ 1$, $ 2$, et $ 5$ sont les diviseurs propres de $ 10$. On disait autrefois «partie aliquote», du mot latin signifiant «plusieurs fois». Notons $ s(n)$ la somme des diviseurs propres de $ n$.
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Si $ s(n)<n$, $ n$ est dit déficient
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Si $ s(n)=n$, $ n$ est dit parfait
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Si $ s(n)>n$, $ n$ est dit excessif, excédent ou abondant
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Si $ s(n)=n+1$, $ n$ est dit quasi-parfait
En bon successeur de Pythagore, Nicomaque de Gérase accompagne cette classification d'une interprétation symbolique dans son «Introduction à l'arithmétique», au IIe siècle ap. J.C. Il associe aux nombres abondants l'excès, l'ambition...  et aux nombres déficients le manque, les défauts, la pauvreté, les nombres parfaits étant parés de toutes les vertus :
Il arrive que, de même que le beau et le parfait sont rares et se comptent aisément, tandis que le laid et le mauvais sont prolifiques, les nombres excédents et déficients sont en très grand nombre et en grand désordre ; leur découverte manque de toute logique. Au contraire, les nombres parfaits se comptent facilement et se succèdent dans un ordre convenable ; on n'en trouve qu'un seul parmi les unités, 6, un seul dans les dizaines, 28, un troisième assez loin dans les centaines, 496 ; quant au quatrième, dans le domaine des mille, il est voisin de dix mille, c'est $ 8128$. Ils ont un caractère commun, c'est de se terminer par un 6 ou par un 8, et ils sont tous invariablement pairs.
Il n'y a bien que $ 4$ nombres parfaits inférieurs à $ 10000$ : $ 6$, $ 28$, $ 496$ et $ 8128$. La Proposition IX.36 des Éléments d'Euclide affirme que tous les nombres de la forme $ 2^{k-1}(2^k-1)$ pour $ k\in\mathbb{N}$ sont parfaits si $ 2^k-1$ est premier : sauriez-vous le démontrer ? Le problème de la réciproque (tous les nombres parfaits sont-ils de cette forme ?) a été posé par Thabit ibn Qurra au IXe siècle, Ibn al-Haytham vers l'an 1000, puis par Descartes en 1638 dans une lettre à Mersenne, puis par Franz van Schooten en 1658 dans une lettre à Fermat. Ce n'est qu'en 1732 qu'Euler montre qu'il n'y a pas d'autre nombre parfait pair. On ignore toujours s'il y en a une infinité, et s'il existe des nombres parfaits impairs : aucun n'a été trouvé jusqu'à $ 10^{300}$, mais qui sait ? De même, on ignore toujours s'il existe des nombres quasi-parfaits. Le plus petit nombre abondant impair est $ 945$ mais il en existe une infinité : tout multiple strict d'un nombre parfait ou abondant est abondant. Deux nombres $ n$ et $ m$ tels que $ s(n)=m$ et $ s(m)=n$ sont dits amicaux ou amiables. Les nombres amicaux sont depuis très longtemps chargés d'une forte connotation symbolique. Dans la Bible, Jacob donne deux cent chèvres et vingt boucs, et autant de brebis et de béliers à son frère aîné Ésaü (pour éviter que celui-ci le tue...) ; pourquoi 220 ? On rapporte que Pythagore aurait qualifié un ami d'«un autre lui, comme le sont 220 et 284». Ce couple de nombres amicaux était apparemment le seul connu des Grecs, mais les Arabes en trouvèrent bien d'autres. Thabit ibn Qurra (826-901) ouvrit la première voie systématique, en démontrant le résultat suivant.

Soit $ n$ un entier supérieur à $ 1$, et soient $ a = 3(2^n) - 1$, $ b = 3(2^{n-1}) - 1$ et $ c = 9(2^{2n-1}) - 1$. Si $ a$, $ b$ et $ c$ sont premiers, alors $ 2^n(ab)$ et $ 2^n(c)$ sont amicaux.

Al-Farisi (1260-1320) découvrit le couple $ (17 296 , 18 416)$, Muhammad Baqir Yazdi le couple $ (9 363 584 , 9 437 056)$. Comme souvent, ces résultats furent ignorés puis redécouverts par les Européens, et c'est ainsi que le couple d'Al Farisi porte le nom de Fermat, celui de Yazdi le nom de Descartes, les nombres de la forme $ 2^n-1$ sont les nombres de Mersenne. Les nombres de la forme $ 3(2^n)-1$ ont tout de même été nommés «nombres de Thebit», en l'honneur de Thabit ibn Qurra.


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